Autrices : Sarah Gamrani et Laure Togola du Collectif Au-delà du Club
Photos : Romain Guédé
Avertissement : Cet article traite de violences sexuelles et sexistes, sa lecture peut être difficile. Vous êtes libre de le lire en plusieurs fois, entièrement ou partiellement.
J’étais étudiante à Bordeaux en 2019. Un mercredi soir, je suis allée boire un verre avec une amie dans le bar au coin de ma rue. Je ne me rappelle plus comment être rentrée chez moi. Je ne me rappelle presque rien à part m’être sentie très ivre, puis essayer de me déshabiller pour me mettre au lit sans y arriver, vomir, et m’écrouler avec mes chaussures encore aux pieds. Le lendemain, je n’arrive pas à aller en cours, je pense être malade. Je comprends que je me suis fait droguer à mon insu ce soir-là seulement trois semaines plus tard, au détour d’une conversation avec des amis sur les effets du GHB*. J’ai juste eu de la chance que la personne qui m’ait droguée ce soir-là ne m’ait pas agressée.

Ce témoignage fait écho à des centaines d’autres témoignages récemment mis en lumière par les mouvements luttant contre les agressions et violences sexistes et sexuelles en Angleterre et en Belgique.
Il met aussi en évidence une certaine méconnaissance des effets d’une drogue – le GHB ou GBL – parfois également utilisée à des fins récréatives. Le 27 octobre 2021, le mouvement étudiant ‘Girls Night In’ appelle au boycott économique des bars et clubs de plusieurs villes anglaises pour dénoncer les agressions et violences sexistes et sexuelles en milieu festif.
En Angleterre, des centaines de personnes témoignent avoir été droguées à leur insu par voie orale ou par des piqûres de seringues lors de soirées. Les activistes manifestent pour que ces cas d’agressions soient pris au sérieux et afin que leurs demandes soient écoutées.
En Belgique, le compte Instagram ‘Balance ton bar’ est créé en septembre dernier pour visibiliser les témoignages anonymes de victimes d’agressions dans plusieurs établissements nocturnes à Bruxelles.
Les comptes Instagram se multiplient en France également à Paris, Montpellier, Lyon, Lille, Grenoble, Toulouse… Les témoignages sont plus ou moins récents et racontent des expériences traumatisantes qui ont toutes un dénominateur commun : la violence de genre exercée dans des espaces de vie nocturne.
Visibiliser les violences sexistes et sexuelles par tous les moyens
La mise à l’agenda médiatique d’agressions en milieu festif permet de visibiliser des faits qui ne sont pourtant pas nouveaux. Différents médias titrent un retour “de la drogue du violeur” ou encore une mise en cause du GHB dans des cas de violences sexuelles dans des bars.
Même si nous ne pouvons que collectivement encourager cet intérêt pour un sujet central, il nous apparaît nécessaire de prendre du recul quant à cette apparente résurgence des violences en milieu festif. Les collectifs, associations et acteurices de la nuit attentif·ves à ces questions sont unanimes: les violences sont présentes depuis longtemps et continuent de l’être.
Les chiffres sont rares, et le nombre de plaintes ayant une résonance reste assez faible. Par exemple, les autorités parlaient de 192 cas en 8 ans pour tous les bars de la zone de police Bruxelles-Ixelles. Ce chiffre révèle une méconnaissance de l’ampleur des violences, car le nombre d’actes ayant réellement lieu est supérieur aux signalements effectués par les responsables de lieux ou les organisateurices d’évènements.
On se souvient de l’ampleur des découvertes permises par #metoo, #musictoo ainsi que tous les mouvements qui ont encouragé l’écoute des victimes. Les données officielles n’offrent pas un aperçu juste des violences subies à cause des problèmes structurels d’un système judiciaire défaillant de l’étape de la prise de plaintes jusqu’à celle du procès.
“La justice nous ignore » comme le disait avec émotion Adèle Haenel face à la caméra de Mediapart. En retour, “on ignore la justice” en créant nos propres réseaux de témoignages et en effectuant, en parallèle, un travail nécessaire à la réelle prise en charge des victimes. Lorsque l’on sait que seulement 10% des victimes portent plainte et que la méconnaissance de ces sujets est majeure, on peut affirmer qu’il est primordial d’avoir une lecture féministe de la situation en se fiant plutôt au nombre de témoignages et aux ressentis des publics sexisés*.
Cinq ans après la vague mondiale #metoo (mouvement lancé en 2007 par Tarana Burke aux Etats-unis), nous décidons collectivement de ne plus accepter cet état des lieux alarmant, et d’encourager les processus de libération de la parole qui ont pu être mis en place par les personnes concernées.
À Bruxelles, capitale européenne où le mouvement Balance ton bar a débuté, les activistes, associations et collectifs belges luttant contre les violences sexistes et sexuelles en milieu festif se sont regroupé·es au sein de l’Union Féministe Inclusive Autogérée (UFIA) pour ouvrir un dialogue avec les établissements et représentant·es politiques afin que des mesures urgentes soient prises.
Dans une lettre adressée aux Bourgmestres, l’UFIA énonce avec justesse que tous les témoignages sur Balance ton bar “ne sont en rien des faits isolés mais bel et bien des violences sexuelles systémiques”, en rappelant que “deux Belges sur trois sont touché·es par des violences sexuelles”. Après l’annonce de leurs craintes et recommandations, l’UFIA écrit avec justesse :

“Nous exigeons de vivre sans le poids d’être en danger perpétuellement et en tous lieux”.
Les violences sexistes et sexuelles en milieu festif prennent de multiples formes : qu’ils s’agissent de micro-agressions sous couvert de “drague”, de gestes exercés sans consentement jusqu’à l’administration de substances destinées à altérer l’état d’une personne à son insu, cela relève d’un même système de domination et de violence envers les personnes sexisées.
Ce continuum de violences* allant des commentaires ou remarques sexistes aux violences plus graves est à la source du climat permissif engendrant les agressions envers les personnes sexisées et minorisées.
Il s’agit de tout un système de domination et d’oppression sexiste, décrit comme une culture du viol* par l’autrice Valérie Rey-Robert. Un système que nous internalisons et normalisons dès le plus jeune âge.
Toutes nos interactions sociales sont empreintes des mythes, légendes, histoires, lieux communs, expériences, faits et représentations qui encouragent la performance de rôles sociaux binaires (être un homme ou être une femme) ainsi que la relation prédateur/proie qui en découle.
Les établissements festifs que nous fréquentons ne sont pas exempts des rapports de domination présents dans d’autres espaces sociaux. Nos interactions sociales en clubs sont alors empreintes des mêmes logiques qu’ailleurs.
Selon l’étude quantitative menée auprès de 1 030 personnes par Consentis en 2018, plus de la moitié des femmes (57%) témoignent avoir déjà été victimes de violences sexuelles dans des lieux festifs et se sentir en insécurité si elles sont seules de peur d’y être agressées ou harcelées sexuellement.
Les hommes sont moins nombreux à avoir déjà subi des violences sexuelles lors d’une fête (10%). Tous genres confondus, 78% des personnes interrogées connaissent au moins une personne de leur entourage ayant été victime de violences sexuelles dans les lieux festifs.
À partir de ce constat, comment repenser collectivement les espaces de vie nocturnes à partir d’une lecture féministe, qui prend en compte les ressentis et expériences des personnes sexisées et minorisées ? Comment s’emparer des espaces nocturnes pour en faire des espaces émancipateurs et transformateurs ?
Nous ne sommes pas tou·tes égaux·ales face à la nuit
Qu’est-ce que je mets ce soir ? Non pas cette jupe, elle est trop courte et je vais devoir prendre le métro tard. Est-ce que je me maquille ? Allez oui. Non, pas autant. Putain, j’aurais pas dû mettre un rouge à lèvres si rouge. Comment je rentre après ? C’est mort je ne prendrais pas la ligne 12, je vais me faire agresser à cette sortie de métro. Bon je vais prendre un taxi, c’est un peu plus safe. Ah ok, c’est 17 balles.
Nous ne sommes pas tou·tes égaux·ales face à la nuit. L’héritage de la géographie féministe nous incite à regarder les espaces publics au prisme de l’intersectionnalité. Les espaces urbains ne sont pas neutres, et nos identités affectent nos déplacements en ville.
En 2014, le travail de recherche ‘La rue, la nuit, femmes sans peur’ s’est transformé en l’exposition ‘Take back the Night!’ à Lille visibilisant les expériences nocturnes des personnes sexisées : harcèlement de rue, sifflements, interactions non désirées, agressions, intimidations, etc. Il y a de claires limitations dans les mobilités nocturnes des personnes sexisées.
Selon Marylène Lieber, docteure en sociologie et autrice de l’ouvrage « Genre, violences et espaces publics, La vulnérabilité des femmes en question (2008), les stratégies de contournement peuvent être multiples : anticiper son itinéraire, exprimer son indisponibilité (avec des écouteurs ou un livre par exemple), tenter de passer inaperçu·e, ou essayer de répondre verbalement.
Son ouvrage s’inscrit dans le prolongement des travaux des géographes féministes britanniques, notamment ceux de Gill Valentine, qui définit la « géographie de la peur » comme l’effet de la violence masculine sur l’utilisation de l’espace par les femmes.
Valentine évoque une « négociation de l’espace public » en termes de trajets effectués, de destinations choisies et d’adaptation physique du code vestimentaire, par exemple.

L’espace urbain est donc violent et inadéquat pour certains groupes de personnes. Nous mobilisons le concept de continuum de la violence décrit ci-dessus en l’appliquant aux différents espaces urbains : il existe une continuité d’actes violents dans tous les espaces nocturnes traversés par les groupes sexisés et minorisés. Comment placer les expériences de ces groupes en question au centre de l’aménagement des espaces publics pour repenser des mobilités nocturnes plus safe?
Si des villes comme Toronto au Canada ou Vienne en Autriche ont intégré, depuis le milieu des années 1990, une approche sensible aux inégalités de genre pour l’aménagement de leurs espaces publics, la plupart des villes européennes n’en font pas leur priorité. La Ville de Paris a amorcé ces réflexions dans le premier guide référentiel “Genre et Espaces Publics” en 2017, qui ont ensuite été approfondies dans le deuxième volet publié en mai 2021.
Ces guides introduisent les questions principales à se poser pour penser les villes de façon plus juste et sûre pour tou·tes: comment occupons-nous les espaces publics ? Comment garantir un droit à la ville pour tou·tes ? Comment réduire le sentiment d’insécurité pour les groupes sexisés et minorisés ?
Ils parcourent les différentes thématiques et enjeux pour penser la ville à travers une perspective féministe et inclusive avec notamment un chapitre dédié à la vie nocturne: se sentir en sécurité, voir et être vu·e (lumières, design de l’espace), adapter la mobilité et particulièrement la nuit (arrêts de bus à la demande, itinéraires en “mode nuit” sur Citymapper indiquant un trajet par les rues principales), placer la coveillance au centre de nos relations dans l’espace public, ainsi que développer un réseau d’entraide et de soutien avec les bars et commerces nocturnes de la ville.
Par exemple, le dispositif “Ask for Angela” mis en place dans la ville de Rouen qui permet d’alerter le personnel d’un établissement d’une situation dérangeante. À la connaissance de ces données, comment prolonger la transformation de nos expériences nocturnes jusque dans les clubs ?
Un militantisme nocturne pour des dancefloors plus sûrs et inclusifs pour tou·tes
Me voilà à la porte du club. Qui est dans la queue ? Comment se comporte le personnel de sécurité ? Ils nous laissent entrer sans nous saluer, pas un sourire. Wow, le club est plein. Où sont les toilettes ? Je vais y aller accompagnée sinon je ne vais jamais retrouver mes potes. Je ne sais pas pourquoi, mais l’énergie est un peu bizarre… bon, je vais essayer de me mettre dedans, je vais prendre un verre.
Je suis au bar. Qui va me servir ? Je me fais dévisager par le mec en face, il me met mal à l’aise. Je bouge sur le dancefloor. Qui est derrière les platines ce soir ? J’ai envie de danser. Est-ce que je peux danser ? Est-ce que les regards sont bienveillants ? Vers qui me tourner en cas de problèmes ? J’espère vraiment que le taxi retour ne sera pas trop cher car je suis à l’autre bout de la ville.
Certaines personnes entrent en club avec une charge mentale et émotionnelle considérable, liée à leurs expériences précédentes dans ces lieux-là.
En parallèle du travail nécessaire des pouvoirs publics, des acteurices de la société civile, associations et collectifs se mobilisent sur le terrain afin de prendre en charge la prévention, la réduction des risques et la prise en charge des victimes en cas d’agressions. Leurs actions convergent vers un même horizon : rendre les espaces festifs plus sûrs et inclusifs pour tou·tes.
Par exemple, l’association ORANE a développé le dispositif SAFER, une application permettant de signaler les agressions dont les festivalier·ères pourraient être victimes ou témoins dans l’enceinte d’un événement. Ce dispositif a été testé au festival Marsatac à Marseille, ainsi que dans d’autres festivals comme BeBop, Utopia ou NDK Festival par exemple. L’objectif de l’association est de déployer ce dispositif auprès de 30 à 50 festivals.
L’application vise à localiser les agressions (avec trois niveaux d’alertes : je suis gêné·e, je suis harcelé·e, je suis en danger) afin de réduire le temps de prise en charge des victimes et collecter la parole auprès d’une équipe de bénévoles formé·es et sensibilisé·es au préalable. Lors des tests du dispositif, l’équipe a constaté que “l’humain et le contact avec les bénévoles changent toute l’expérience du festivalier. Le fait d’être présent physiquement, avec une équipe de bénévoles visibles, permet d’ouvrir un dialogue sur des sujets importants. Cela nous permet de sensibiliser mais également de rassurer et réduire les risques”.
Les associations Consentis et Act Right sont également partenaires de ce dispositif. Riches de plusieurs années de travail de terrain, ces associations exercent un travail de formation, prévention, sensibilisation et action autour des violences sexistes et sexuelles en milieu festif.
Par exemple, Consentis a réalisé une étude quantitative en 2018 pour connaître l’ampleur des violences sexistes et sexuelles en milieu festif.
Pour Mathilde Neuville, cofondatrice de l’association, cela permet de “faire un état des lieux, tout en montrant l’ampleur du phénomène. Grâce aux statistiques, nous pouvons lutter contre l’invisibilisation et la banalisation de ces violences”. L’association effectue un travail rigoureux de prévention et de sensibilisation, parfois en partenariat avec des médias comme Trax Magazine par exemple, sur les notions de consentement et de bienveillance en milieu festif.
Quant à Act Right, il s’agit d’un label de qualité proposant, en partenariat avec le Centre National de la Musique, un suivi d’une durée de trois ans pour les structures et établissements qui souhaitent mettre en place des mesures de réduction des risques (liés aux violences sexistes et sexuelles, aux consommations de drogues et d’alcool ou à l’écologie).
Marion Delpech, cofondatrice d’Act Right aux côtés de Cindie le Disez, nous explique que “les organisateurices d’évènements prennent de plus en plus leurs responsabilités, et nous appellent pour recevoir des formations. Bien sûr, il y a plusieurs cas de figures : celleux qui le font car ielles sont déjà déconstruit·es, celleux qui le font pour avoir les subventions et les cas où ce sont les femmes qui travaillent dans la structure qui impulsent la décision de se former”.
Que ces formations soient reçues avec de réelles intentions de former les équipes de sécurité et les professionnel·les des lieux ou qu’elles soient perçues comme une case à cocher pour recevoir des subventions, elles ouvrent le dialogue et transmettent des savoirs nécessaires.
Pour Marion, “les choses bougent dans le bon sens” même s’il reste encore beaucoup de travail pour accueillir les publics dans les meilleures conditions possibles.
Si les stands de prévention sont un bon début, il est nécessaire d’adopter une vision à moyen ou long terme pour faire changer radicalement les valeurs et les conditions d’accueil des événements festifs.
Cela passe par la formation, la communication et la mutualisation des forces, des savoirs et des compétences de tou·tes les acteurices des scènes musicales actuelles et électroniques.

Lettre à nos nuits : pour une culture de la bienveillance et du consentement
“La nuit est prometteuse et transformatrice : c’est le message que je souhaite faire passer dans cet ouvrage. Toutes ces normes que l’on s’oblige à respecter le jour tendent à s’évaporer la nuit. Certes, on y observe les mêmes logiques d’exclusion, de discrimination, de domination, mais les espaces nocturnes détiennent un potentiel transformateur décuplé. La possibilité de transgresser les normes permet de puiser dans la créativité et l’imagination.” Extrait de l’ouvrage Au-delà du Club
Sur le modèle des activistes britanniques (Girls Night In), et dans une plus large mesure des collectifs féministes de plusieurs villes en Europe, nous demandons que la nuit soit plus sûre pour tou·tes, plus inclusive et plus responsable sur la base des trois piliers suivants : prévention, soutien, bien-être.
1 – La prévention et la sensibilisation des équipes professionnelles des établissements festifs (bars, clubs, salles de concert, open-air) devrait être obligatoire afin qu’ielles puissent protéger les différents publics qu’ielles accueillent.
Ielles devraient systématiquement être formé·es aux principes de témoin actif·ve (active bystander en anglais) ainsi qu’à l’apprentissage et la connaissance des différents types de violences, agressions et discriminations (verbales, corporelles, etc…) qui affectent différemment les groupes concernés. Nous encourageons également la prévention afin que le maximum de personnes puisse être informées des effets des drogues, et acquièrent des connaissances suffisantes sur leurs risques potentiels.
2 – Le soutien : les victimes doivent être crues, soutenues et prises en charge de façon bienveillante. Les établissements festifs doivent avoir un protocole clair et accessible, pour leurs équipes et le public, en cas d’agressions.
Cela comprend le fait de savoir comment accompagner les victimes, dans l’immédiat et sur le long terme. Le soutien doit notamment passer par une réelle action préventive envers les agresseurs, et une tolérance zéro envers tout type de violences ou de discriminations.
3 – Enfin, le bien-être des fêtard·es doit être la priorité de l’établissement accueillant des événements festifs, et la bienveillance doit être un fondement de nos nuits. Cela passe par la mise en place de parcours safe et rassurants, par exemple en créant des espaces de discussion ou cellule d’écoute, en identifiant des personnes refuges, visibles et dédiées au bien-être de tou·tes.
Assurer un retour à la maison en toute sécurité, intervenir en cas d’agressions, savoir reconnaître les potentielles situations de danger, être attentif·ve à l’état des personnes. C’est en adoptant une multiplicité de mesures, une posture d’attention et de soin que les lieux festifs pourront se transformer en profondeur et offrir des expériences nocturnes exemptes de violence.
Le changement doit être systémique et radical
Pour tendre vers un horizon plus juste et inclusif, nous devons réfléchir collectivement et créer de nouveaux récits pour nos nuits. Le changement doit être systémique et radical.
Il doit se faire dans toutes les couches de notre société en commençant par l’État (allouer du budget et mettre en place de vraies politiques de prévention et de sensibilisation à ce sujet, tout en continuant à soutenir les associations de terrains qui luttent quotidiennement sans se décharger de leurs responsabilités sur elles pour autant), par le système judiciaire (ne laisser aucun agresseur impuni, arrêter de classer les plaintes sans suite, ne pas culpabiliser ou remettre en question la parole des victimes systématiquement), par les établissements festifs et les professionnel·les de ce secteur, par les artistes, par les fêtard·es… et ce en évitant au maximum les mesures “pansement” (comme des campagnes de sensibilisation entraînant la culpabilisation des victimes ou des politiques sécuritaires souvent discriminatoires et inefficaces).
Nous appelons à une veille collective bienveillante pour prendre soin les un·es des autres de nuit comme de jour. Nous appelons à rompre le silence autour des violences sexistes et sexuelles en milieu festif : elles ont été présentes et le sont toujours.
La première étape pour le rompre est simple et accessible : écouter et croire les victimes. La question laissée en suspens reste : que faire des agresseurs ? Quand nous ne croyons pas à l’efficacité des approches sécuritaires et punitives, quelles sont les solutions viables ?
Dans une plus large mesure, nous appelons à une réflexion collective sur la signification de nos nuits. Elles sont un terrain d’expérimentation précieux pour notre génération. Elles sont des refuges pour certains groupes minorisés dans des contextes politiques hostiles à l’expression des identités, comme en Pologne par exemple.
À l’image de l’initiative espagnole à Barcelone par le collectif Temporary Pleasure, nous appelons à créer des espaces de réflexion collective et se demander ensemble : Qu’est-ce que représentent les clubs ? Comment (re)créer des clubs à partir de valeurs communes ? Comment penser nos espaces de vie nocturne collectivement et à travers une perspective féministe intersectionnelle ?

Pour plus de contenus We are Europe, rejoignez notre newsletter en bas de page. En Juin 2021, nous avions échangés avec Sarah Gamrani, co-autrice de cet article, durant la 10ème édition de l’European Lab. Voilà ce qui s’est passé.
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Sarah Gamrani est DJ (Hawa Sarita), chanteuse (au sein du duo Baraka) et autrice (Au-delà du Club). Artiste multidisciplinaire, elle explore les liens entre musiques électroniques et politique à travers différents espaces de créations. Avec l’ouvrage collaboratif Au-delà du Club, elle propose de nouveaux récits pour des fêtes plus safe et inclusives grâce à la poésie et la photographie.
Laure Togola conçoit et développe des projets artistiques porteurs de sens – le dernier en date étant Hip-hop 360 à la Philharmonie de Paris, après Desert X ou Al Safar, qui a notamment soutenu de jeunes artistes dans la réalisation de leurs projet photographique au Mali, en Égypte, au Maroc et en France. Après un passage au sein des Inrockuptibles (Argentine) média qui lui permet d’écrire ses premiers articles, elle s’engage dans différents collectifs parisiens centrés sur les réflexions féministes et antiracistes, alternant entre théorie et actions militantes. Elle rejoint Au-delà du club à l’été 2021 afin de contribuer à la réflexion collective menée afin de construire une nuit plus inclusive.
* Utilisation du terme personnes “sexisé·es” en référence à Juliet Drouar, qui l’utilise pour parler des rapports de force, pouvoir et domination sans invisibiliser tous les autres groupes victimes de sexisme (personnes trans, bi, queer, intersexe, lgbtqia+), les femmes n’étant qu’un groupe parmi d’autres.
* Continuum de violence – terme tiré de l’ouvrage de Valérie Rey-Robert, paru en 2020, « Une culture du viol à la française » (LIBERTALIA).
* Culture du viol – Ibid.
* GHB – L’utilisation du GHB est devenue (…) parfois criminelle, d’où son nom de drogue du viol, qui lui a été donné en raison de ses propriétés : amnésie (troubles de la mémoire), relaxation, insouciance, état semblable à l’ébriété, altération des perceptions, délais d’action très courts. Source