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Lors d’European Lab, nous avons rencontré Sarah Gamrani (Hawa Sarita), pilote du recueil de poèmes « Au-delà du club ». Son expérience de recherche dans le domaine de l’espace public et de la poésie apporte un regard éclairé sur la question de la place des femmes dans nos cultures grand public et alternatives. Cette conversation permet de mettre des mots et des arguments sur un mal-être parfois difficile a exprimer, et soulève des problématiques sur lesquelles il est plus que jamais urgent de travailler.

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Interviewers : Cécile Moroux & David Bola

Crédit Photo : Hewan Aman


Salut Sarah, est-ce que tu peux te présenter ?

Je m’appelle Sarah Gamrani. Je suis DJ sous le nom de Hawa Sarita. Comme je te disais, de base, je suis de formation plutôt musique, guitare et chant. J’adore chanter et je suis donc également chanteuse dans un duo électro-acide qui s’appelle Baraka et qu’on a lancé en mars dernier avec mon partenaire qui s’appelle Cristofeu. Ça, c’est pour le côté musique. DJ, j’ai commencé à mixer il y a à peu près deux ans. Super, en plein milieu d’une crise pandémique au final. (rires)

(Rires) Tu as choisi la bonne période.

En fait, c’était parfait pour commencer justement à avoir toutes les bases et à s’entraîner. La technique, bien digger, savoir où je veux aller… Vraiment, moi, ça a été une période trop cool, au final, de réflexion et de savoir où je voulais amener mon projet artistique.

Paris Furie Douce © Sarah Gamrani

Je suis aussi poétesse. J’écris des poèmes. J’ai écrit un premier recueil que j’ai auto-publié en 2019, qui s’appelle « Paris Furie Douce ». C’était un peu mon expérience en tant que femme dans l’espace urbain à Paris, il a été auto-publié en 2019. Je suis aussi étudiante en études urbaines et en géographie féministe.

Réhabiliter les espaces publics

En parlant d’espace public, est-ce qu’il n’y a pas un danger qu’au retour à « la vie normale », la rue redeviennent un espace hostile aux femmes, exactement comme avant ? Est-ce qu’il faut s’en prévenir avant de ré-ouvrir les espaces ?

Oui. Ça c’est hyper important pour moi, c’est aussi hyper présent dans mes réflexions. En gros, à chaque fois que j’aborde l’espace public, en tout cas, que ça soit dans mes recherches, au niveau académique ou mes lectures, j’aime y appliquer une perspective de genre, une perspective féministe et en gros, comprendre pourquoi ces espaces-là ne sont pas vécus de la même façon si tu es un homme, une femme, une personne non-binaire, une personne trans, une personne lesbienne, une personne bi… En vrai, en fonction de tes identités, de tes orientations sexuelles, de comment les personnes te représentent et ton expression de genre, tu n’es pas égal dans ces espaces-là. Parce qu’en fait, c’est des espaces qui ne sont pas neutres.

Le problème vient aussi de comment on les pense. Ces espaces publics, ils sont pensés de façon neutre et ils sont surtout pensés par des urbanistes mâles, donc hommes, plutôt blancs et plutôt âgés. Moyenne d’âge, on va dire, quand tu es urbaniste, entre 30 et 55 ans. C’est quand même une perspective de l’espace public qui, en fait, se reproduit sans cesse. Ce qui est important maintenant – dans la pratique de l’urbanisme en tout cas – c’est d’avoir de plus en plus, déjà, de femmes praticiennes urbanistes, mais surtout de prendre en compte leur perspective.



Au-delà du Club © Hewan Aman – Sarah Gamrani

Comment tu fais ça ? Tu vas sur le terrain et tu demandes. Tu demandes aux gens : c’est quoi tes expériences ? Qu’est-ce que tu as vécu là ? Quand tu fais ce trajet d’ici à d’ici, comment tu te sens ? Qu’est-ce que tu ressens ? C’est vraiment ça, et il y a plein de géographes féministes qui font des « ateliers participatifs ».

Quand tu penses un projet, tu inclus la perspective des premiers et premières concernées. Il y a beaucoup de mapping. Tu prends des grandes cartes, tu fais des tracés avec les participants et les participantes et en gros : quel chemin vous utilisez ? Quelle est votre mobilité en ville ? Pour faire vos activités quotidiennes, où est-ce que vous allez ? À quelle heure ? Est-ce que vous sentez safe ici ou pas ? Comment on peut améliorer les trucs ? Est-ce qu’il y a quelque chose qui vous ferait sentir plus safe ? Ça, c’est vrai que c’est hyper important à prendre dès l’étape de la planification.



Après, sur le thème du harcèlement, moi, c’est un truc qui m’a beaucoup énervée, révoltée… J’ai beaucoup de haine contre ça, parce que je l’ai beaucoup vécu, surtout à Toulouse. Je suis née à Toulouse et j’ai fait toutes mes études à Toulouse et c’est vrai qu’en fait, il y a eu comme un déclic à un moment où j’avais l’impression que tout le monde m’agressait dehors.



Au-delà du Club, Flyers © Hewan Aman – Sarah Gamrani

C’est-à-dire qu’on pouvait me parler en faisant un commentaire sur ta tenue, en me demandant mon numéro, en me suivant en voiture, en m’insultant si je ne réponds pas… C’est des trucs qui vraiment me révoltaient et j’étais là : « Mais pourquoi moi, je reçois ces trucs gratuitement ? Gratuitement, sans avoir rien demandé.Je ne te demande pas ton avis. Je ne te demande pas un commentaire. »

Je pense que là, du coup, c’est à faire déjà, en amont, dans la planification urbaine… Tu ne peux pas gérer le harcèlement en ville dans la planification, mais je pense qu’il y a tout un changement radical de culture et d’état d’esprit sur « la femme n’est pas une femme-objet ». Ce n’est pas une personne que tu peux insulter, que tu peux approcher comme ça sans qu’elle t’ait demandé ton avis. C’est un peu bateau, ce que je dis, mais en vrai… Il y a des gens qui ont besoin qu’on leur dise.

En fait, déjà, je pense que ça part aussi d’une plus grande distinction. Nous, on a un esprit très binaire, donc homme/femme, public/privé, par exemple. Dans les espaces, c’est pareil : espace public, espace privé et pendant très, très longtemps, les femmes étaient vraiment relayées à l’espace privé, tout ce qui est le domestique, tout ce qui est l’entretien de l’intérieur, de la famille, la reproduction de ces tâches-là. Ça a été complètement invisibilisé et en fait, elles n’avaient pas leur place dans l’espace public.

Alors que maintenant, on se rend compte qu’elles ont autant d’espace dans l’espace privé que dans l’espace public, et c’est là qu’il faut réajuster. Parce que pendant très longtemps – en urbanisme en tout cas – une femme n’avait pas sa place dans l’espace public, à part si c’était pour se prostituer, parce qu’elle était dehors. C’était vraiment dans l’imaginaire de « la femme est là la nuit, parce qu’elle attend quelque chose, pas parce que, juste, elle se déplace comme une autre personne ».

Lieux de fêtes, chantiers politiques

Pour vous quels ont été les principaux constats, réflexions, mais du coup aussi, éventuellement, solutions qu’on pourrait même appliquer, là, demain, si les clubs ré-ouvrent et si l’on a à nouveau le droit de faire la fête ?

Dans ta question précédente, tu avais fait le lien entre l’espace public et les clubs, et moi, c’est une des positions que j’ai dans ma recherche : c’est que – tout comme les espaces publics sont des espaces conflictuels et politiques – les clubs le sont aussi. Peut-être que nous, on se le représente comme ça, mais en fait, ces espaces-là nocturnes sont des espaces considérés comme des espaces de divertissement, pour l’instant. Et de loisir. C’est-à-dire qu’on va en club pour faire la teuf. On va en club pour boire, pour se divertir, pour écouter de la musique et c’est quelque chose de super qu’on a en commun.

Plein de personnes différentes, de différents horizons sociaux, se rejoignent dans un espace pour faire la fête et donc pour se divertir, sauf que ce n’est pas juste un espace de divertissement : c’est bien sûr un espace politique, conflictuel, où il y a l’expression d’identités diverses et il y a les mêmes relations de pouvoir et de discrimination, en fait, qu’en société. Ça veut dire les mêmes schémas, tout simplement : le harcèlement que tu retrouves dans l’espace public, tu le retrouves aussi dans les clubs. C’est toujours cette position, un peu, d’objectification du corps féminin, ou des corps queer, ou des corps trans.


Au-delà du club © Sarah Gamrani – Hewan Aman

C’est exactement pareil dans ces espaces-là et si on les considère comme des espaces de divertissement, on n’adresse jamais les vrais problèmes. Donc le constat, ça a été : « Bon, on sait que quand on est un public ou une artiste femme, on n’a pas les mêmes expériences que les artistes non- binaires ou masculins. Chacun a vraiment sa réalité, ses expériences. Comment on peut laisser une place plus grande aux – dans mon cas, c’étaient les expériences des artistes femmes – et comment on peut repartir sur de bonnes bases avec leur perspective et à partir de leurs expériences ? »

Je me suis dit : « Voilà, cette crise pandémique, c’est un peu une rupture. On vit un avant et un après. Il y a quelque chose qui est en train de changer dans nos relations à la fête, mais aussi nos relations entre nous, nos relations sociales : comment on peut redistribuer les cartes et repenser le futur vers lequel on se dirige, mais à partir des expériences des artistes femmes ? » En gros, c’est pour ça que j’ai, sans me faire de présupposés au début… Je me suis dit : « Moi-même, je suis aussi artiste femme et public femme, donc je sais que j’ai des expériences de harcèlement ou d’agressions sexistes ou d’attouchements sans qu’on me le demande sur la piste d’un club ».

Mais je ne me suis pas dit que toutes les autres artistes avaient vécu forcément la même chose. C’est pour ça que je suis partie sans présupposés et que j’ai essayé de leur demander leurs expériences à travers les poèmes. Moi, mon parti pris, c’était d’utiliser la poésie pour avoir accès à leur intimité, à leurs émotions et à leurs expériences intimes en tant qu’artistes. Mon présupposé, en tout cas, c’était de me dire que j’aurais plus accès à leurs vraies émotions intimes parce qu’en fait, les gens écrivent de ce qu’ils connaissent le mieux. Je me suis dit : « Elles, elles vont vraiment pouvoir écrire de ce qu’elles connaissent le mieux, c’est-à-dire leur expérience en club, dans leurs chaussures ».

La poésie, vecteur d’une parole libérée

Quelle est la plus-value de la forme poétique pour traiter ces sujets-là ?

Trop bonne question. Justement, une des plus-values de la poésie… Moi, c’est un des résultats de ma recherche : la plus-value, c’est bien sûr avoir accès à une intimité particulière des participantes au projet, à laquelle, je pense, je n’aurais pas eu accès si j’avais fait un simple entretien ou un questionnaire ou un truc plus statistique de savoir combien de personnes ont été agressées ou ont vécu des violences sexistes ou sexuelles en milieu festif. C’était vraiment pour approcher au plus près de leur intimité et de leur expérience.

Et après, je pense que vraiment, la plus-value de la poésie, c’est qu’elle a un pouvoir – je trouve, en tout cas, que c’est une arme très utile si on s’en sert bien – qui est le pouvoir des mots et qui est vraiment pile- poil avec le thème de cette année de l’European Lab et la bataille des récits, d’apporter notre narratif, notre récit. Le poème, il marche comme un espace écrit où je pars de mon intimité – qui est politique, bien sûr, mais qui est également subjectif.


Au-delà du club © Hewan Aman – Sarah Gamrani

En recherche féministe, c’est le parti-pris de partir de la subjectivité dans tous les cas, de valoriser cette subjectivité et de dire : « Toi, ce que tu vis, à ton échelle intime, c’est super important. Viens, on le partage. Viens, on essaye d’en faire quelque chose collectivement. » Ça a été, je pense, pour moi, la meilleure façon d’approcher les subjectivités et les intimités à travers la poésie et d’avoir vraiment ces productions écrites qui restent dans le temps.

C’est un peu l’idée derrière le livre, de justement vouloir l’imprimer et de le faire via ce financement participatif, c’est d’avoir des écrits qui restent dans le temps et de pouvoir témoigner : « En 2020-2021, quand on a eu cette période de rupture qui a vraiment chamboulé nos relations, et à la fête, et à la vie, voilà comment les artistes femmes se représentaient le monde de la fête et leur position dans le milieu festif. »

Justement, comment étaient ces ateliers ? J’imagine que se retrouver toutes ensemble et partager ces choses-là, ça a dû provoquer des choses fortes émotionnellement ?

Oui, c’est vrai que c’était surprenant et émotionnel. Je pense que c’est les deux mots. Il faut dire que toutes les artistes, déjà, on ne se connaissait pas. C’est-à-dire que j’ai fait un appel à participation sur les réseaux. En fait, j’en connaissais une : c’était Ara, avec qui j’ai eu un contact direct et je lui ai dit : « Parles-en autour de toi. Je sais que tu es entouré d’artistes DJ : parles-en autour de toi. ».

Elles ont été huit à participer : il y avait Ara, Hewan Aman, Mel C, Maelita, Mab’ish, Olympe4000, Rrose Sélavy et Tatyana Jane. Voilà, ça, c’est toutes les participantes qui ont participé aux ateliers de poésie et personne ne se connaissait, ou alors se connaissait de vue parce que forcément, sur les réseaux, chacune suit un peu ce qu’on fait, mais sans connaître vraiment en détail ni nos positionnements, ni nos valeurs, ni notre travail actuel.

Au-delà du club © Hewan Aman – Sarah Gamrani

Du coup, ce qui a été beau, c’est que sans se connaître, je les ai vues, moi, s’ouvrir vraiment au fil des ateliers et être en confiance ultime face à ce qu’elles allaient dire. Par exemple, si elles lisaient un poème et qu’elles partageaient un poème, au début, c’était peut-être un peu dur le premier atelier… Un peu timide ou un peu « Ah, non, mais c’est nul, ce que j’ai fait », toujours à se dévaloriser un petit peu, mais au fil des ateliers, je trouvais vraiment qu’elles prenaient confiance en leurs mots, aux sujets qu’elles abordaient et dans la façon dont elles se parlaient entre elles.

Moi, j’avais identifié cinq thèmes que je considérais « à enjeu » des scènes électroniques : il y avait « genre et culture club », « les espaces », « les distances » – donc distanciation sociale en milieu festif, et cetera, tout ce qui était lié avec la crise pandémique -, « les sens de la fête dans nos sociétés » et « les utopies » et à chaque fois, sur chaque thème, j’inventais une petite méthode d’écriture pour leur faciliter la tâche et ne pas qu’elles partent de zéro et en se disant : « Aujourd’hui, on va faire un sonnet guidé ». Un sonnet, quatre strophes, au début, tu as quatre lignes, quatre lignes et trois et trois. Au lieu de leur dire : « Faites un sonnet », je posais des questions et sur chaque ligne, elles devaient répondre aux questions.

C’est un exemple. Je voyais que plus la méthode était guidée, plus elles avaient une facilité à faire, tout simplement. Je leur donnais la méthode et le thème que je voulais aborder, elles avaient une semaine pour écrire leurs poèmes chez elles, quand elles avaient l’envie ou le temps, et ensuite on se rejoignait la semaine d’après – en ligne, parce que c’était pendant le deuxième confinement, de novembre jusqu’à janvier – on se rejoignait en ligne, chacune lisait son poème et ensuite, après le poème, j’invitais toujours à débattre, à discuter ou vraiment à essayer de voir ce qu’on en pensait, s’il y avait des artistes qui avaient vécu la même chose, si on pouvait se relier collectivement par rapport à une thématique ou si c’était totalement différent.



Team © Hewan Aman – Sarah Gamrani

Du coup, c’était trop beau parce qu’elles ont appris à se connaître, elles, entre artistes et ça, c’est assez rare, d’avoir du temps pour connaître ce que font les autres et s’associer collectivement, après, pour d’autres projets. Parce qu’on a beaucoup d’espaces digitaux, donc on regarde vachement ce que font les autres, mais en superficie, au final, et on n’a pas ce temps-là où on s’accorde et on se dit : « Moi, je veux vraiment connaître ce que tu fais ». Ça construit des ponts, tout simplement, entre artistes en se disant : « On peut faire ça ensemble », « Ah, toi, tu produis, tu es productrice aussi ? Trop bien » ou « Tu veux venir mixer à ce truc ? ».

C’est une espèce de sororité, des vraies affinités et vraiment de l’entraide pour de vrai. Chose qui, je pense, est rare dans ces scènes-là, ou en tout cas, pas entre femmes, parce qu’on ne nous a jamais appris à le faire et du coup, c’est cool de travailler ensemble à créer cette sororité-là. Je sais que, par exemple, Hewan Aman, qui est participante, mais qui est aussi graphiste, de là, elle m’a proposé de faire toute la direction artistique du livre. C’est une synergie de plus qui s’est créée et avec qui j’ai pu construire le projet parce qu’il y a eu ces ateliers-là.

Tatyana Jane, par exemple, elle a produit une track sur la compilation de Mab’ish qui est sortie. C’est une compilation avec onze productrices qui s’appelle Sororité. Peut-être qu’elles se connaissaient avant, mais ça a quand même fait ces ponts où, après, les artistes femmes continuent sur d’autres projets ensemble. C’est un peu ça que je cherchais aussi.

Activisme à la réouverture, activisme dans les médias. Vers qui se tourner ?

On en parlait tout à l’heure, c’est un projet lié au confinement : cette période-là, bien qu’elle ait été déprimante et en arrêt, ça a été pour beaucoup de gens aussi la promesse d’un activisme et d’une transition sociétale à la ré-ouverture. Là, on est aux portes de cette ré-ouverture. Est-ce que tu as l’impression que c’est la direction qu’on prend ?

Je trouve ta question hyper pertinente et c’est hyper important. Je reste persuadée de ça, qu’on ne peut pas revenir à la normale et ne pas apprendre des leçons de cette crise pandémique et de cette rupture. À ma petite échelle, oui, peut-être, j’ai l’impression qu’on aborde ça avec plus de bienveillance – en tout cas, avec le collectif autour de « Au-delà du Club » – plus de bienveillance et plus de partage, et caetera. Ensuite, c’est vrai qu’on est aux portes, mais je vois aussi beaucoup d’automatismes qui reviennent.



Tu vois les programmations de cet été, tu revois les artistes qui viennent de très, très loin juste pour un soir, c’est un peu les mêmes noms qui reviennent, et caetera. J’espère qu’on ne se dirige pas vers là exclusivement, mais c’est cool, je pense qu’aussi, ça a permis d’ouvrir un espace pour la scène locale.

Ça, je l’ai vu avec beaucoup d’acteurs ou d’actrices de l’écosystème nocturne qui se sont dit : « En fait, là, on a vraiment découvert une scène locale qu’on ne pensait pas aussi riche parce qu’on faisait toujours venir celui qui nous rapportera le plus d’argent pour cette soirée. On met un gros nom, une grosse line-up et comme ça, on est sûrs de rentabiliser la soirée », parce que derrière, il y a toujours des enjeux financiers. Mais en tout cas, je trouve ça cool de se dire : « On a appris et on a découvert cette scène locale hyper riche : comment, là, on peut l’intégrer pour de vrai ? ».


J’espère que ça va se faire. Moi, à mon échelle, je ne m’occupe pas d’évènements comme ça mais c’est vrai que franchement, il faut vraiment tirer les leçons de cette crise pandémique. Après, au niveau de ce dont on parlait, violences sexistes ou sexuelles dans les milieux festifs, à chaque fois je les cite parce qu’elles font un travail de malade, c’est Act Right. Je ne sais pas si vous les connaissez ?

Act Right © Léo Vidale

C’est Marion Delpech et Cindie le Disez qui font Act Right. Elles travaillent justement à créer des espaces festifs plus safe, et elles, elles le font via des formations aux agents de sécurité et au personnel qui travaillent sur les lieux festifs. Elles veulent créer une idée d’un label. Une fois que tu as complété toutes les formations, tu as ton petit label en mode… pas « safe space », mais en mode : « J’ai suivi la formation d’Act Right et du Centre national de la musique ». Elles travaillent vachement sur ça aux agents de sécurité : comment accueillir du public des musiques électroniques ? Comment gérer une situation s’il y a une agression sexiste ou sexuelle ? Accompagner la victime, savoir où elle peut aller porter plainte, la croire, tout simplement.

Il faut que la victime aussi sache qu’il y ait des points « safe » où tu peux aller voir une personne et être sure que ce qui vient de t’arriver va être pris en compte et qu’on ne va pas te dire : « C’est bon, t’inquiète, ça arrive tout le temps ».

Je pense qu’il y a vraiment ce travail de changer d’état d’esprit, tout simplement : les espaces dans lesquels on va, il faut les respecter, déjà, au titre de l’espace… Je suis retournée à un événement au bord des quais des quais de Seine, je repars, c’était un massacre. J’étais terrifiée de voir que les gens laissent toutes leurs canettes, leur plastique… On ne peut plus traiter les espaces qui nous sont offerts comme un déchet, tout simplement. Il faut vraiment, à la fois avoir ce changement radical, que ça soit au niveau environnemental, mais aussi au niveau bienveillance et respect. Respect de l’espace, mais respect de tous les corps et des diversités qui sont présents dans cet espace.

Le féminisme et les questions de genre, on les retrouve souvent dans des espaces de parole qu’on leur dédie dans les médias. Comment est-ce qu’on peut s’y prendre pour extraire ces réflexions-là des temps de parole qu’on leur attribue ?

Oui, tu veux dire que, par exemple, si on veut en parler, c’est à nous de nous créer cet espace ?


Ce qui m’a fait penser à ça, c’est que sur la campagne KissKissBankBank, il y a une catégorie vraiment « féminisme ». Au final, ce livre-là, que tu sois féministe ou pas, il a un intérêt. Il y a beaucoup de contenus type dans des magazines féministes et émissions féministes mais qui est du coup un temps de parole où gens qui écoutent ces temps de paroles-là, c’est des gens qui sont déjà-

Convaincus. C’est aussi ça, au final : ne pas toujours créer du contenu pour les convaincus et ceux qui sont déjà d’accord avec toi, mais comment trouver d’autres façons d’en parler à ceux qui n’y trouvent pas d’intérêt ou n’y voient pas le lien, tout simplement ? Je t’avoue que… C’est une question hyper compliquée. Peut-être que choisir la poésie aussi, ce n’est pas non plus le truc le plus accessible au premier abord. Après, moi, ma position dans la poésie, c’est que je veux que ce soit une poésie accessible et c’est pour ça que je ne me suis jamais formalisée, ni sur la forme, les rimes, si ça respectait bien le nombre de pieds, et cetera.

Justement, j’ai toujours dit aux filles : « Un poème est un poème quand vous avez décidé que c’en est un. Même si c’est un pavé comme ça, même si ça ne rime pas et même si ce n’est pas équilibré, il n’y a pas de problème. » En ce sens, je trouve qu’elle est accessible, mais c’est vrai que de prime abord, tu te dis : « Ouais, la poésie. Moi, je ne lis pas (de livres)» ou alors « Moi, je ne lis pas de la poésie ». C’est un peu compliqué, mais c’est vrai qu’il y a ce travail de démocratisation et aussi d’accessibilité de ces sujets-là et en parler peut-être avec d’autres mots ou dans d’autres espaces.

Poster © Hewan Aman – Sarah Gamrani

Hawa Sarita recherche ambient

Tu es aussi DJ avec le projet Hawa Sarita. Comment est-ce que tu intègre ton activisme dans ton travail sonore ?

J’ai une résidence mensuelle sur une radio (NDLR : Dia Radio) qui s’appelle Le Son De La Méduse et c’est une sélection à chaque fois de 100 pour cent artistes féminines ou non-binaires. Moi, je voulais vraiment mettre en avant ces artistes-là et ces talents-là dans tous les cas, mais c’est aussi un super exercice pour moi pour aller chercher ailleurs, tout simplement. Je trouve que c’était une belle contrainte qui, au final, n’en est pas une, de me forcer moi-même à faire l’effort et de ne pas se dire : « Ah bah non, je n’ai pas trouvé, tout simplement ». Parce que moi, ma contrainte que je me suis mise, c’est 100 pour cent artistes féminines et non-binaires et j’ai découvert des artistes incroyables.

Je pensais ne faire qu’électro, puisque je me suis dis : « DJ, il faut faire des trucs clubs et tout… » Pas du tout. Au final, j’ai fait des podcasts d’ambient. J’ai trouvé des artistes féminines ambient incroyables. À l’époque, je vivais dans une coloc où justement, mon coloc était fan d’ambient et en fait, tous les noms qu’il pouvait me citer, ce n’étaient que des mecs. Quand je lui ai dit : « Tu n’as pas des recommandations pour ma résidence de ce mois-ci ? Je fais une spéciale ambient », il ne me disait que des artistes masculins. Tu fais : « Et tu ne connais pas les artistes féminines ? ». Il me fait : « Maintenant que tu le dis, non, pas trop ». Alors que quand tu cherches, il y en a beaucoup.

C’est vrai que c’est cool de faire cet effort-là aussi dans la musique qu’on diffuse en tant que DJ, en tant qu’artiste. Je trouve ça important aussi de créer cet espace-là et de faire connaître ces artistes-là.

À propos de Hawa Sarita

Hawa Sarita est une artiste franco-marocaine basée à Paris. Elle a commencé la guitare très jeune avant de se mettre au deejaying en 2019, dans le but de partager sa musique. Son dernier projet « Au-delà du club », est disponible ici. Vous pouvez aussi écouter son dernier projet musical Baraka.

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