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L'édition 2021 de Nuits sonores Bruxelles proposait des performances éprouvées et de nouvelles expériences artistiques. Parmi elles, It's complicated, tandem composé de David Shaw & Strapontin. Nous les avons rencontrés quelques minutes avant leur performance, pour échanger autour de leur projet commun. Interview.

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Auteur : David Bola

Crédit Photo : Marin Driguez



Alors que l’on passe les portes du C12 le samedi 9 octobre 2021 pour la seconde club night des Nuits sonores Bruxelles, le calme apparent de l’endroit nous surprend. Le « night manager » du lieu fait le tour des derniers préparatifs, le staff se prépare tranquillement et dans la salle principale, les premiers artistes de la soirée examinent le sound-system qui vrombira bientôt.

Au vu de cette apparente quiétude, il est alors difficile de s’imaginer qu’hier soir, l’espace accueillait le producteur derrière « Drone Logic » Daniel Avery en back to back avec Haai, que la figure locale Rokia Bamba y a délivré un warm-up survolté, ou encore que la cantatrice Mim Suleiman, a enflammé le C11 (deuxième salle du club), à l’aide de ses productions house chantées.

Encore plus dur de se figurer que dans quelques heures, le club se remplira de nouveau pour des performances de JASSS, TSVI et du tout récent duo réunissant Strapontin et David Shaw : « It’s Complicated« , qui avait pour tâche d’ouvrir le bal ce soir. Laissez-nous vous présenter ce tandem.

Strapontin est un artiste pluridisciplinaire, actif dans le milieu de la danse contemporaine bruxellois. On peut entendre ses mixes sur l’antenne locale Kiosk Radio. Naturellement innovateur, son projet de clip/jeu-video, imaginé pour l’EP « The End of Logic » paru chez les lyonnais de Hard Fist, avait emballé les médias belges de par sa créativité.

David Shaw de son côté à un parcours artistique riche, nourri de différentes collaborations comme Blackstrobe (en compagnie de Ivan Smagghe et d’Arnaud Rebotini) ou DBFC (avec Dombrance), avant de faire chemin seul quelques temps pour David Shaw and the Beat.

Nous avons rencontrés ces deux protagonistes, quelques minutes avant leur performance, pour échanger autour de leur projet commun. Interview.

It's Complicated : David Shaw & Strapontin au C12 pour Nuits sonores Bruxelles @ We are Europe
It’s Complicated : David Shaw & Strapontin au C12 pour Nuits sonores Bruxelles © Marin Driguez

Salut David et Strapontin, merci de prendre le temps de discuter avec nous. Pour commencer, j’aimerais revenir sur la naissance de votre collaboration. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Strapontin – Je suis à Bruxelles depuis 8 ans, je viens de Lyon au départ. J’étais venu principalement pour la scène de musiques électroniques et celle de danse contemporaine. (Je fais de la musique pour des spectacles de danse). La rencontre s’est faite par une amie commune qui s’appelle Laurence Camacho. Elle connaissait David et m’a conseillé de le rencontrer. 

David Shaw) Tu es arrivé à Bruxelles, et j’ai eu un petit coup de foudre artistique très sincère, très honnête. Les premières phases, on se faisait écouter des trucs, ensuite je te demandais ton avis sur des trucs que j’ai faits. Et puis, progressivement on est allé en studio, sans pression, pour essayer des choses. 

David – Avant de se rencontrer à Bruxelles, on s’était déjà envoyé deux ou trois messages de soutien. Quand ça s’est mis en place en studio, c’était ultra fluide. C’est à partir de ce moment – je pense – que l’on s’est mis à pousser l’idée, qu’on a pu prétendre à former un truc ensemble. On a tous les deux eu besoin de rencontrer l’autre avant de travailler ensemble.

Est-ce qu’en somme votre projet musical est une sorte de traduction de cette rencontre ? 

Strapontin – Je ne sais pas si c’est une traduction, je pense que c’est plutôt l’inverse, que le projet musical transpire, fait transparaître cette énergie-là. Au début, on a commencé par faire des choses dancefloor pour finalement oser s’aventurer mutuellement dans des productions moins bourrines, plus subtiles. Moi, par exemple, j’avais envie de travailler sur une atmosphère post-punk, un peu à la DAF (Deutsch-Amerikanische Freundschaft)…

David – Au fur et à mesure des sessions, on était moins dans l’objectif de faire une musique fonctionnelle. La musique club est géniale mais par définition, très fonctionnelle. On a commencé dans ce sens, mais comme l’on s’est rendu compte que l’on sait tous les deux faire d’autres choses, des choses différentes, on a essayé de créer un objet musical, point. Et on verra si c’est « fonctionnel », « club », ou pas. 

Strapontin – Je n’aurais pas pu commencer à travailler en me disant « Il faut qu’on aboutisse à un disque, avec des morceaux qu’on va jouer en club, des remixes… » Avec une sorte de « plan carrière ». Je vois ça plus simple : « Qu’est-ce qu’on est capable de faire ensemble ? Quelles sont les choses que l’autre nous permet de faire ? » Juste de l’écoute de l’autre, de la confiance. 

David – On se fait découvrir des choses aussi, la méthode de travail est différente. Ça te fait dézoomer, décomplexer sur plein de choses. 

Vous vivez tous les deux à Bruxelles, qui est pour l’un comme pour l’autre une ville d’adoption. C’est aussi la ville ou vous avez pu vous représenter en premier, et ainsi tester les rouages de ce projet. Comment ces essais ont-ils été reçus ?  

Strapontin – On a fait plusieurs sets ensemble, au Tri Postal qui est une occupation à la gare du Midi – c’est un lieu squatté extrêmement bien géré, à Bruxelles il y a plein de lieux comme ça. Le public y est hyper chaleureux, dans le sens où tu peux tester des choses et les gens vont être à l’écoute. 

C’était cool d’avoir les séances de studio où on bosse ensemble, on l’on compose et les sessions au Tri Postal où l’on ose des trucs en live et on voit comment ça réagit. Le public bruxellois, dans le milieu alternatif (en tout cas à ce moment-là), était réceptif au fait qu’on ose expérimenter avec eux.

Il y a une énergie collective qui donne aussi envie d’aller plus loin dans l’expérimentation.

Il y a une qualité dans la scène bruxelloise qui en fait un bon terrain d’expérimentation et de création artistique ?

David – Il y a une énorme culture musicale à Bruxelles. Étant Anglais, je retrouve beaucoup ce truc où on respire la musique, on respire l’art en général, où il y a ce dialogue, cette espèce d’énergie, cette sensation galvanisante. 

Strapontin – Bruxelles à cette qualité-là historiquement. Ce n’est pas aussi simple que « les gens sont cools ». Le fait que le pays soit dans une crise identitaire constante depuis des décennies parce qu’il est partagé entre la Wallonie et la Flandre y joue beaucoup. En fait, l’identité de la Belgique, c’est ça. C’est plein d’identités à la fois.

Cette diversité-là, elle se sent vraiment partout. Et le public de base est diversifié, parle 15.000 langues, il y a pleins de gens qui viennent d’endroits très différents. J’ai l’impression que le fait que le pays n’ait pas une unité forte est vu comme quelque chose de négatif dans les discours politiques, alors que c’est quelque chose d’extrêmement positif. On peut être plein d’identités, vu que l’on ne nous force pas avec un modèle particulier. Et ça se ressent fortement dans le public Bruxellois. 

Vous parlez donc d’un projet qui se nourrit dans sa composition à la fois de séances d’expérimentation en live et de moments passés en studio. Comment décririez-vous vos séances de studio ensemble ? 

David – Avant de commencer à travailler, on se retrouve, on parle un peu de nous, de ce qui nous a inspiré ou de ce qu’on a vu, de ce qu’on veut partager avec l’autre. On se fait toujours un super dej’ (rires). En vrai c’est important. 

Quand on rentre dans studio, on ne se dit pas forcément. « On va partir dans ce truc-là ». Mais à un moment, il y a peut-être un truc qui va résonner et qui va nous faire penser à tel film ou à un tableau ou à bouquin. Mais tout n’est pas calculé. C’est hyper important de le rappeler. 

Strapontin s’était par exemple inspiré du tableau « Untitled » de Wilhem Sasnal pour créer le morceau « Sasnal Park ». C’est une méthode d’inspiration que l’on ne retrouve pas sur It’s Complicated ?  

Strapontin – Effectivement, je ne pensais à ça (Sasnal Park, la peinture comme inspiration…) quand on bossait ensemble, parce que l’on n’effectue pas cet exercice de traduction en musique. On lance quelque chose, et puis des images très précises viennent en tête, on se parle. En se disant des choses comme « je pense à une sorte d’après-midi au soleil à Londres ». En fait, c’est flou. 

On n’est pas non plus tout neufs, on a des backgrounds très différents. Moi j’ai fait les Beaux-Arts, je viens vraiment d’un milieu de plasticiens. Je continue à faire de la sculpture, je fais de la musique pour des spectacles. J’ai un rapport plastique à l’art. 

David – Mine de rien, même sans forcément le formuler, l’exprimer pendant le travail, ce que Strapontin peut apporter s’apparente à une forme de print, il n’est pas forcément toujours en train de faire de la musique comme un zikos.  

Moi, quand j’ai commencé à faire la musique d’un point de vue professionnel, j’étais dans un schéma un peu conditionné, peut être un peu plus bête et méchant, de sortir un disque pour choper quelque chose derrière (des bookings, des dates etc…). Quand je travaille avec Strapontin, j’ai d’autres réflexes. 

Strapontin – Et vice versa. Moi j’ai le côté le plus performatif, arts plastiques, beaucoup moins cadré dans la conception de la musique. Tandis que toi (David), tu es vraiment un songwriter, dans le sens où tu sais vraiment apporter une dimension émotionnelle, précise et juste. C’est une sensibilité et une technique, de savoir qu’à tel moment on a envie de refrain, qu’à un autre moment, on a besoin de partir dans quelque chose de plus vaporeux, avec une nappe plus légère…

Cette sensibilité-là c’est quelque chose que je n’ai pas du tout dans ma pratique. J’ai une pratique du son en tant que matière comme une sculpture où l’on va chercher des ambiances. Mais je ne vais pas forcément penser, en termes de composition, avec la même finesse que David. It’s complicated c’est une sorte d’alchimie entre nos deux savoirs.  

It's Complicated : David Shaw & Strapontin au C12 pour Nuits sonores Bruxelles @ We are Europe
It’s Complicated : David Shaw & Strapontin au C12 pour Nuits sonores Bruxelles © Marin Driguez

Pour continuer sur cette idée-là, j’aimerais parler de votre manière d’approcher la création. Ayant tous les deux des précédents de création musicale et artistique en général, je me demande si votre approche évolue quand vous travaillez ensemble ? Comment décririez-vous l’approche du duo It’s Complicated ?

David – Quand je me retrouve seul, ce n’est pas toujours évident de sortir de la notion de timeline*, de temps. Avec Strapontin, je vais oublier un peu la timeline, ça me fait des vacances (rires). Lui comme moi, on fera toujours de la musique, ça fait partie de nous. Mais aujourd’hui, approcher la création musicale différemment, c’est ce qui m’excite plus. 

Strapontin – J’ai l’impression que l’on a une approche à la fois punk et sensible et que les deux sont hyper connectés – alors qu’elles ne le sont pas forcément dans le lieu commun. Le côté sensibilité et punk est pas forcément lié, ou en tout cas ce n’est pas la première image que tu as en tête.  

Ne pas être mercantile au départ, c’est à dire pas forcément faire un plan carrière sur une collaboration et juste se baser sur la sensibilité, c’est déjà une forme alternative en soi. C’est déjà une forme presque militante dans un monde qui est extrêmement mercantile. Alors qu’en fait, cela parait extrêmement logique. 

David – Tout est dans le nom aussi. It’s Complicated. C’est une très bonne synthèse, de ce qu’on dit. 

Bola Je ne sais pas si c’était voulu, mais au début, quand je l’ai vu, j’imaginais ça comme la réponse à une question comme « sur quoi tu travailles en ce moment ? », où « comment tu définis ton projet ? », pour éviter de répondre « C’est un album de house, de techno, de club… » Quand on y pense, la nomenclature musicale peut déjà être une manière d’aborder un projet dans une logique « mercantile », avec un discours qui vend par association. Tu aimes la techno ? Je vais te proposer de la techno – même s’il y a également une volonté sociale, culturelle, d’identification et d’appartenance lorsque l’on définit des genres et courants musicaux.

David – Pour être transparent, je suis victime de ce truc-là, parfois. Malheureusement, je suis obligé de définir ce que je fais en le réduisant à 3 styles alors que c’est plus nuancé que ça. C’est de la musique électronique.

Strapontin– Et puis, ce n’est pas notre taf. Je ne dis pas ça pour me délester d’un truc, il y a des critiques d’art, de musique qui sont là pour voir les différentes, les nuances, les styles, les courants, etc. En tant qu’artiste, on nous demande de nous définir, alors que justement, en tant qu’artiste, on ne sait pas se définir. Mais dans le bon sens du terme, c’est à dire que on n’y arrive pas parce qu’en fait, on n’est pas dans une logique mercantile. 



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À Nuits sonores Bruxelles, nous avons également eu l’occasion de rencontrer la productrice et DJ MIMI, pour un échange autour de ses débuts et sa relation aux textures sonores. À retrouver ici.

Lexicon

*Timeline – Fait référence à la representation visuelle d’un morceau sur un logiciel de production sonore comme Ableton. La « timeline » est une abscisse avec pour donnée le temps.

Plus

David Bola est éditeur de contenu à We are Europe. Il a travaillé par le passé à Radio Nova en tant que journaliste freelance et tient une résidence mensuelle sur les ondes Piñata Radio avec Ludotek, une émission qui s’intéresse à la musique de jeux vidéos. 

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