Auteur : Maxime Gueugneau
Crédit Photo : Maurice Mikkers
Ah qu’il est beau, vu d’ici, le monde d’après. Il sera écologique, égalitaire et hédoniste, c’est sûr. Le Covid-19 aura fait table rase de nos sales manies et tous nos maux se seront faits la malle. Et c’est alors que, sur un parterre de fleurs écloses, humains et animaux se tiendront la main pour une grande ronde à la gloire de notre mère nature. Génial, pourrait-on dire. Si ce n’est qu’il reste un tout petit peu de travail à faire et quelques rouages à décoincer. Et le monde de la musique n’est pas le dernier concerné.
L’étude réalisée par le collectif Clean Scene indique que les mille DJs qui tournent le plus produisent, à eux seuls, par leurs voyages, 35 000 tonnes de CO2 par an (l’équivalent de la consommation d’électricité de 20 000 foyers ou de la production de 25 millions de disques). Le festival polonais Unsound a, lui, fait estimer par l’Aeris Futuro Foundation ses émissions de carbone à 1 040 tonnes par an. Il est temps de se mettre à la diète.

Jauge, compensation, laboratoires de réflexion et même reformulation totale du projet sont des idées qui commencent à germer, faisant déjà fleurir quelques outils. Mais aujourd’hui nous n’en sommes qu’aux prémices quand l’urgence nous pousse à accélérer le mouvement. Nous sommes allés tapoter à la porte de festivals aux tailles et philosophies diverses pour voir quelles directions leur indiquait la boussole verte.
Il en est pour qui tout cela coule de source et qui ne frémissent pas plus que ça. Le festival Visions, organisé par Les Disques Anonymes et situé au Fort de Bertheaume, à une vingtaine de kilomètre de Brest, est de ceux-là. « On a toujours été écologistes dans l’âme, bien avant qu’on fasse des festivals », nous dit son directeur, Guillaume Derrien. Ainsi, lors de leurs dernières éditions, ils s’étaient faits remarquer en demandant aux festivaliers de ramener leurs propres contenants, tout simplement parce qu’ils n’en distribueraient pas. Une demande possible grâce une humilité assumée. « Volontairement, on limite la jauge des festivals, pour éviter de devenir énormes, ce qui impose des infrastructures qui vont générer déchets et pollutions. Ce qui nous permet aussi de demander à un public plus restreint de s’auto-gérer en amenant son propre contenant, en faisant sa vaisselle sur le site, avec la vaisselle qu’on met à disposition. »
Les petites jauges autorisent aussi une minutie dans la production. « Le fait qu’on soit suffisamment petits nous offre le temps de prendre le temps. Sur les bars par exemple, pour que la totalité de ce qui est vendu soit consigné, qu’il n’y ait plus de plastiques. Idem à la production, où par exemple on récupère tous les colsons et les serre-flex, un par un. On est suffisamment petits pour avoir une gestion très fine de notre impact. » Et si, effectivement, il en fallait peu pour être heureux ?

Les problèmes sont tout autres, quand on passe à l’échelle énorme. We Love Green est un de ces super-festivals qui rythment l’été parisien. « Évidemment, l’impact carbone a augmenté avec le nombre de festivaliers mais l’empreinte carbone par festivalier a, elle, baissé. Parce qu’il y a moins de déchets, plus de sensibilisation qui est faite. Quand on a pris 15 000 festivaliers de plus, on n’a pas pris 15 points de plus sur notre bilan. Il faut réussir à trouver un équilibre, ce qui n’est pas évident, mais la taille permet aussi de développer des filières », nous explique Najma Souroque, la cheffe de projet développement durable de la manifestation parisienne.
Le problème se meut alors en solution. « Notre force, en grandissant, ça a été d’imposer nos solutions à nos prestataires. » mais aussi, de pouvoir compter sur ses propres ressources en terme d’énergie (panneau solaire, huile de friture convertie en carburante, etc.). Mais l’importance de We Love Green fait aussi de lui un acteur majeur du milieu, capable de rassembler. En témoigne les diverses initiatives dont il es partie prenante pour replacer la réflexion à une échelle européenne.
Déjà accompagné par l’initiative A Greener Festival, We Love (Green ?) fait aussi partie, entre autres, de Green Europe Experience, avec six autres festivals dont le Boom et Dour, laboratoire pour repenser les modèles de production et partager les expériences, mais aussi le Green Deal Circular, qui permet de faire circuler les données de 20 festivals européens et permettre les échanges d’idées, en lien avec les territoires. « L’idée c’était d’avoir un scope international avec des expertises variées de conception, d’organisation pour mettre en place de nouveaux modèles. » Être plus grand, pour penser plus grand et se créer des marges de manœuvre plus conséquentes ? Ou partir du fait que, foutu pour foutu, autant compenser ?

Outre des mesures sur la restauration (végétarienne), la suppression des bouteilles en plastique pour les softs et la distribution de gobelets compostables, Unsound, festival de musiques expérimentales, a pris une direction pas banale pour amoindrir son impact environnemental : la compensation. Le souci de l’évènement polonais est qu’il est sur une niche mais qu’il y est très reconnu, à l’international notamment.
Si, comme pour beaucoup de gros festivals, les artistes viennent des quatre coins du globe, c’est le public qui pose ici le plus de problème. « La grande majorité de notre empreinte est dû à notre public qui vient à Cracovie par avion – c’est pourquoi nous avons choisi de vous impliquer », nous annonce la page de leur site web dédiée à cette initiative (le festival ne nous ayant toujours pas répondu).
Car la voilà, l’idée du Unsound : effacer l’impact des festivaliers par les festivaliers eux-même en les engageant à payer pour la plantation d’arbres dans la région de Cracovie. En s’alliant avec la fondation Aeris Futuro, qui s’occupe de regrouper les données et la direction des espaces verts de la ville, le festival permet aux spectateurs de participer à diminuer l’empreinte carbone à la hauteur des kilomètres parcourus. « Ce sont des petits pas, mais nécessaires », conclut le communiqué.

« Moi la compensation, j’y crois pas vraiment. C’est comme la croissance verte. » Samuel Aubert, directeur des Siestes Électroniques, ne prend pas de détour. Il tranche et jette les propositions qui, selon lui, ne sont pas des solutions de long terme. Toutefois, il confesse que « pendant longtemps ça n’a pas été central. Comme beaucoup, on s’est posé la question des toilettes, des gobelets, des choses comme ça. Mais au final tout ça est très anecdotique sur le bilan carbone d’un festival. » Il faut, pour lui, rentrer dans le lard des multiples contradictions inhérentes à la forme festival en elle-même.
D’autant plus quand on parle du projet initial des Siestes, qui est de présenter des artistes du monde entier. « Je les faisais venir de très loin, du Mexique, de Chine, d’Indonésie. Ils faisaient une date à Toulouse et puis ils repartaient chez eux. Le truc est ridicule en termes de gaspillage.»
Alors, il réfléchit et avance quelques pions intrigants. « Nous, on va travailler sur l’interprétariat. Historiquement, ça ne fait que quelques décennies que la musique live doit absolument être interprétée par son auteur-compositeur. L’artiste aurait des genres de représentants qui joueraient sa musique sur différents territoires. Ce qui fait qu’une même musique ne sera pas jouée de la même façon à Paris, Tokyo ou Sao Paulo. On retrouve l’idée de terroir. Comme pour les cépages : en fonction de là où est plantée la vigne, ça ne donne pas le même vin. ».
Les temps demandent de la radicalité et Samuel Aubert n’est pas contre. « C’est plus facile pour moi de dire ça, étant donné la taille des Siestes. Mais il faut tous qu’on aille plus loin et qu’on fasse des changements plus structurels. Pas seulement sur la périphérie. » Jusqu’à même remettre en cause – et pourquoi pas ? – la nature même du festival : « Je me dis que, peut-être, la forme même du festival – réunir beaucoup de gens sur un espace-temps réduit – est très XXe siècle et que ça doit peut-être disparaître. Je ne sais pas. » Ouch.

Si les options prises par les festivals divergent parfois franchement, il est évident que la question des changements à opérer face à la crise environnementale est bien intégrée par les organisateurs. Mais quelles que soient leur volonté, il ne sera pas possible de réaliser les nécessaires transformations sans un accompagnement des pouvoirs publics.
Thomas Dossus, sénateur du Rhône EELV, grand amateur de musiques électroniques (mais si, c’est lui qui a cité Laurent Garnier au Sénat) et aficionado de Nuits Sonores lyonnaises va dans e ce sens, avançant l’idée d’une « certification des engagements environnementaux des festivals. Une forme de label bio pour l’événementiel culturel qui s’appuie sur des changements concrets de pratiques et qui couvrent tous les impacts environnementaux. »
Et le politique de promouvoir ces évolutions en conditionnant les subventions : « C’est la démarche globale engagée à Lyon ou à la Métropole de Lyon : chaque euro public engagé doit être passé au crible d’une grille d’analyse climatique. L’argent public est un formidable levier de transformation, on doit pouvoir engager les transitions grâce à l’investissement public. » Car les festivals ne sont pas seuls à devoir agir. La crise écologique nous concernera tous tôt ou tard et l’aspect politique des choses ne peut pas être mis sous le tapis. Festivaliers, organisateurs, artistes, décideurs : nous sommes tous impliqués.
Comme pour tous les sujets ayant trait à la transition écologique, la transformation des festivals ne se fera pas du jour au lendemain. Si les pistes sont nombreuses et les acteurs volontaires, les changements à opérer pour obtenir une véritable neutralité carbone sont complexes, pour ne pas dire inconcevables. Et le basculement donne le vertige. Pourtant, on l’a vu, les outils naissent peu à peu, à l’échelle locale comme européenne, les réflexions se font jour en public et les mots interdits ne le sont plus tellement.
Ne reste que le temps. Celui qui court, qui nous rend sérieux et qui nous fait dire qu’il va falloir mettre les bouchées doubles pour que ces bonnes intentions ne pavent pas le chemin de l’enfer. Construisons plutôt, pas au pas, mais au trot, un joli sentier vers d’une fête durable et collective. On en a bien besoin.
Cette article a été conçu suite à notre premier appel à contributions qui souhaitait traiter les épreuves et changements que les festivals et entités culturelles pourraient affronter dans le futur. Grâce aux contributions que nous avons reçu, nous avons pu créer la série d’article « Futur(s) des festivals » dont cet article fait partie. Nous sommes ouverts aux propositions pour notre prochain appel à contribution, disponible ici.
À propos de l’auteur
Maxime Gueugneau est un journaliste freelance, qui a travaillé avec Kiblind et est l’author d’Azur, en collaboration avec Simon Bournel-Bosson.