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Le scénographe indépendant et journaliste musical Axel Simon, se penche sur la scénographie de la boîte de nuit française Le Sucre, installée sur le toit d'une ancienne sucrerie à Lyon. Les lieux comme celui-ci doivent-ils assumer leur identité de "club" dans le paysage culturel ? Comment la scénographie peut-elle refléter la personnalité des résident·es et des collectifs invités ? Dans cet entretien, nous explorons ces sujets avec la scénographe Léa Chaix et le programmateur Pierre Zeimet.

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Interviewer : Axel Simon

Crédit Photo : Gaétan Clément



Qu’est ce qu’un club pour vous ?

Léa : Un club c’est un moyen de pouvoir rencontrer des gens et de découvrir culturellement de nouveaux horizons.

Pierre : Le club est un espace culturel, social, où l’objectif numéro un est de parler. Je pense qu’aujourd’hui la fête doit être remise au centre de nos discours en tant que club. On a eu pendant longtemps peur de dire qu’on est un espace festif, notamment pour pouvoir se légitimer vis-à-vis des pouvoirs publics. La fête, c’est un mot positif. Je crois que c’est hyper important de montrer que la fête est culturelle, positive, politique, engagée, sociale et qu’elle permet l’échange.

Qui est derrière Le Sucre ? Et quelle est l’histoire du club ?

Pierre : La structure derrière Le Sucre c’est Culture Next, une entreprise gérée par une équipe d’environ 30-35 salarié·es, qui fait partie de l’écosystème d’Arty Farty. Au sein de ce dernier, on travaille à la fois pour les lieux et pour nos événements, dont des festivals comme Nuits sonores.

C’est un montage intéressant dans le monde de la culture, puisqu’on a un club qui est géré par une entreprise. C’est très dur de faire gérer aujourd’hui un club sur un système associatif, en tout cas un club comme Le Sucre, qui a demandé beaucoup d’investissement à la base. Mais il appartient finalement à une association, ce qui nous permet aussi d’être dans des logiques économiques différentes par rapport à un club géré par des actionnaires qui auraient un intérêt de rentabilité vis-à-vis de celui-ci.

Le Sucre a ouvert en 2013. Il a été réfléchi comme un laboratoire pour le festival Nuits sonores. L’idée était de pouvoir s’exprimer artistiquement sur un temps plus long qu’un festival, qui est limité et éphémère, et des fois frustrant en termes artistiques. Sur un festival, on peut difficilement suivre tout ce qui se passe à l’année, notamment ce qui se passe sur son territoire, alors qu’un club peut jouer ce rôle. L’ouverture du Sucre a permis de faire évoluer le festival, de développer à la fois la scène locale et nos relations avec les artistes internationaux et les acteurs et intermédiaires de la culture.

Le Sucre est situé au sommet d’une ancienne sucrière – une usine qui servait à faire du sucre – ce qui a donné son nom au club. C’est assez atypique puisque pour arriver au Sucre, on est obligé de monter trois étages à pied ou de prendre un ascenseur. L’intérieur de la sucrière est d’ailleurs utilisé pour les Nuits sonores. Et pendant le festival le Sucre a ce rôle de laboratoire, puisqu’on n’y fait que du live, avec une programmation plus pointue et expérimentale.

Dans quelles esthétiques musicales se situe Le Sucre ? 

Pierre : Au début du Sucre on a eu tendance à ne pas vouloir parler de club. On parlait de lieu culturel. Ce n’est que très récemment que l’on assume cette définition positive du club. Au Sucre, tu vas trouver une véritable scène qui permet de faire du live en plus d’un DJ Booth. La façon dont le club a été créé influe aujourd’hui sur notre manière de programmer. Aujourd’hui, quand on installe un·e DJ, on l’installe sur un praticable, sur la scène, comme si ce n’était finalement pas fait pour.

La scène est préparée pour du live, et en tant que programmateurs on a tendance à vouloir utiliser cet outil-là en club. C’est-à-dire que sur des soirs comme le Samedi, 90% de la programmation va être du live. Ça peut être du live électronique, donc du live machine entouré de synthétiseurs, de boîtes à rythmes, etc… mais comme du jazz ou du funk. On va voir beaucoup de groupes d’Afrique du Sud, des Argentins, des Brésiliens, des gens qui font à la fois de la musique traditionnelle ou qui, au contraire, modernisent ces esthétiques.

Ça va aller par exemple récemment de Dengue Dengue Dengue, d’Amérique du Sud, ou encore MC Carol, qui vient du Brésil, la nouvelle scène de Shanghaï qu’on recevra cet été ou encore le festival Nyege Nyege. Ce serait donc difficile de mettre le Sucre dans une case esthétique.

On reste quand même un club de musique électronique. On essaye de raconter l’histoire de la musique électronique par un prisme un peu différent de celui des Etats-Unis, de Berlin, de Londres. Même si on le fait aussi, mais on aime aussi parler d’autres prismes de la musique électronique, d’autres scènes.

Le vendredi, on a une programmation plutôt axée sur des musiques expérimentales, breakbeat, dub, drum and bass, etc…

Le samedi, on programme beaucoup de lives, beaucoup de sono mondiale.

Et le dimanche, on raconte une histoire plus classique de la musique électronique avec une programmation qui invite fréquemment des stars de la techno berlinoise, de Détroit, de Chicago, etc… autant que des artistes et labels locaux.

Quels sont les autres usages du Sucre, au-delà de la partie club et live ?

Pierre : On soutient beaucoup la résidence artistique. On a eu aussi pendant pas mal de temps des cours de DJing, réservés en priorité aux femmes et aux personnes non-binaires. On met parfois le lieu à disposition pour des associations, comme une soirée dans l’année où le Secours populaire organise le nouvel an des mineur·es isolé·es.

On a une académie de production en partenariat avec un label local qui s’appelle Nashton, avec une trentaine de producteur·ices qui viennent tous les mois pour avoir des cours de production. L’idée, c’est d’inviter les artistes internationaux·ales qui jouent au Sucre pour venir donner des master-class dans cette académie. Ça provient aussi d’une réflexion écologique. Celle de se dire qu’on en avait un peu marre de faire venir des headlines qui prennent trois avions le week-end pour rester sur une date et qui n’ont aucune connexion avec ce qui se passe sur notre territoire, avec la scène locale, avec nos acteur·ices, etc…

L’idée était de pouvoir les connecter à ça, qu’ils puissent au moins venir sur deux jours faire une master-class, puis faire leur set. On a un nombre important de guests qui répondent présent·e, et qui sont content·es de pouvoir participer.

Une de nos valeurs sûres c’est d’utiliser le Sucre en format club le dimanche après 12 h. On sent que les gens y viennent vraiment pour la musique. On fait aussi pas mal de shows visuels, le Sucre ayant été réfléchi en termes de scénographie avec quatre vidéoprojecteurs qui nous permettent de faire des lives à 360 degrés. Une des dernières choses qu’on a fait récemment sur nos vendredi, c’est de lancer un format qui s’appelait Mini Club. Qui amenait à repenser totalement l’expérience du public en faisant un club dans le club.

Le Sucre @ We are Europe
Mini Club © Gaétan Clément

Comment diriez-vous que Le Sucre s’inscrit dans son territoire au niveau politique, militant et en termes de supports d’émergence de nouvelles scènes ? 

Pierre : On est en train de mettre en place une nouvelle mouture du Sucre. On a voulu revoir totalement notre façon de programmer. On est trois programmateurs, hommes, blancs, cisgenres. L’idée était aussi de faire confiance à d’autres communautés et de réfléchir à comment faire rentrer dans notre équipe de programmation le plus de gens possible. On veut que le Sucre soit un réel outil pour pour la scène locale et pour différentes communautés, pour s’en saisir et pouvoir programmer avec nous.

On a lancé cette nouvelle carte de résidence avec huit résident.e.s émergent.e.s, huit résident.e.s internationaux.ales, et huit collectifs résidents. Quand on dit résident.e.s, ce sont des gens qui sont amenés à vraiment s’investir dans le Sucre. 

S’investir, ça veut dire par exemple donner des cours de DJing sur notre format réservé aux femmes et aux personnes non-binaires. Ou alors ça veut dire participer à la formation des producteurs. Ça peut être réfléchir eux mêmes à scénographier le Sucre, comme c’est le cas de Cornelius Doctor. Ça peut être une liberté totale de proposer des choses en terme social, comme Cornelius par exemple qui a proposé de mettre en place une politique de micro dons sur ses résidences lors des achats de tickets.

Ca peut être Camion Bazar, qui sont résident·es aussi, qui ont fait monter des associations sur le toit du dessus pour faire de la sensibilisation. Ça peut être sur des thématiques comme le végétarisme, la protection des animaux, etc… 

C’était vraiment important pour nous d’avoir un panel de résident·es représentatif·ves de toutes les esthétiques à la fois musicales, mais aussi en termes de communauté, de ce qui peut se faire à Lyon en ce moment. Donc ça peut aller du hip hop avec Artjacking, des choses un peu plus RnB avec 69 degrés, avec Furie sur les scènes du Brésil, d’Argentine, etc… Ça peut être avec notre résidente émergente Lisa qui est sur des choses un peu plus expérimentales, hyperpop etc… et donc ça nous permet en tant que programmateurs de pouvoir être totalement connectés avec ce qui se passe à Lyon et dans le monde. 

Et d’amener aussi plus de parité dans la programmation. Sur les Nuits sonores on était à 10% de femmes dans la programmation il y a encore huit ou neuf ans. Aujourd’hui, on est passé à 45%. Je n’ai pas exactement les chiffres sur le Sucre, mais aujourd’hui, avoir une soirée ou il n’y a pas une représentation de femmes sur le line up, ça devient très rare. C’est passé non pas par une politique de quotas, mais par à la fois une déconstruction de soi-même, d’aller digger dans des registres différents, et de faire confiance aussi à cette nouvelle grille de résident·es, de collectifs, etc…

Ce grand panel de résident.e.s amène une certaine émulation entre eux. Le but, c’est que ces gens, ces collectifs, ces résident·es se parlent entre eux, se donnent des coups de main. Cassent aussi les frontières. On sait que les gens qui jouent de la techno à Lyon ne rencontrent pas trop ceux qui vont jouer de la musique brésilienne. 

Qu’est-ce qui fait la scénographie du Sucre ?

Léa : Le Sucre est pensé pour que les artistes puissent imaginer ce qu’ils ou elles veulent. C’est une boîte un peu « vide », où on peut s’adapter à chacun.e et à chaque artiste, c’est très modulable. Il y a deux espaces très différents au Sucre : la terrasse et le club. Quand on est toute une nuit au Sucre, il se passe deux choses très différentes d’un espace à l’autre, et ils sont travaillés à chaque fois différemment.

L’entrée du Sucre © Gaétan Clément

Pierre : On a la chance d’avoir cette terrasse qui a une vue imprenable sur la Saône et sur la ville de Lyon, qui en soi est déjà une scénographie. Quand les gens rentrent au Sucre et arrivent sur une grille en sortant de l’ascenseur, qui les met presque dans le vide puisque tu vois en dessous, en soi, c’est déjà une scénographie. L’architecture imposante de la Sucrière en soi est déjà une scénographie importante pour le Sucre.

La scénographie du club a plusieurs enjeux. Celui de différencier les soirées, les identités des soirées, déjà. Mais aussi d’être des scénographies de confort. Comme sur le mini club. Un confort de programmation notamment : la jauge du club est de 800 personnes, on crée un mini club à 400 personnes pour se faire plaisir, pour mettre de la musique plus expérimentale, etc… On a créé un club dans le club. Léa a réfléchi à la scénographie pour répondre à des objectifs de confort du public, de son et de lumière, puisque construire un club dans un club peut limiter la qualité du son et des lumières.

Léa : On a aussi travaillé sur la position du DJ, que l’on a mis à la même hauteur que le public, ce qui a amené à de vrais échanges entre le DJ et le public. Qui était parfois un peu houleux d’ailleurs. Mais c’était cette expérimentation qui était intéressante dans le mini club, et on ne pouvait évidemment le faire qu’avec une mini jauge.

Diriez-vous qu’il y a une évolution ces dernières années sur une envie que le DJ ne soit plus forcément sur scène, et qu’il ait un rapport plus direct au public ?

Léa : Oui. C’est exactement ce que m’a demandé Cornelius Doctor pour sa dernière résidence. Il voulait être au milieu du public. Et il est même allé plus loin parce qu’il voulait que le public se voie lui-même. Pour cela, il y avait des miroirs devant son DJ Booth, et aussi en hauteur, pour que chaque personne, peu importe où elle était, pouvait voir le DJ, voir les autres personnes. Qu’il y ait une espèce d’histoire qui se raconte entre les un.e.s et les autres. Que tout le monde vive à la même hauteur et qu’il n’y ait personne au-dessus des autres.

Pierre : Aujourd’hui on ressent clairement le poids de l’histoire sur cette question là. Il y a à la fois deux générations qui s’opposent, mais aussi deux histoires différentes. Il y a l’histoire d’Underground Resistance qui masquait le DJ, pour qu’il ne soit pas considéré comme une star. Et l’histoire qu’on a vécu depuis ces 20 dernières années où les DJ sont sur des scènes immenses, mis en avant, avec les lumières sur eux, etc…

C’est un débat fréquent au sein des équipes du Sucre. Pour ma part, j’en ai marre de ce système de DJ Star. Je préfère quand le DJ est au sol, près du public, que les gens dansent entre eux, que les gens se regardent entre eux et pas le DJ. C’est difficile à changer pour deux raisons. Quand on invite des DJ un peu plus reconnu·es où il va y avoir des fans dans le public, on peut avoir des problèmes de sécurité.

Quand ces DJs sont en salle, les gens prennent des photos constamment. Je me souviens avoir passé des soirées à mettre ma main devant des appareils photo qui étaient à un centimètre du DJ parce que les gens voulaient absolument avoir sa photo.

Il faut revenir à ces valeurs où on n’est pas forcément là pour regarder le·a DJ, on est là pour danser entre nous, on est là pour communiquer, on est là pour échanger… Et ça, on va le retrouver grâce à la scénographie. On va le retrouver en sortant un peu le·a DJ de cette scène en hauteur avec les lumières sur ellui, ce que demandent énormément de DJs. Je ne pense pas que c’est un phénomène nouveau, mais que l’on reprend conscience de ça dans certains clubs.

La Sunset Camion Bazar

Avez-vous d’autres exemples que Cornelius Doctor en termes d’appropriation scénographique du lieu par des artistes ?

Pierre : Ca peut être des choses très simples, comme ArtJacking qui vont vraiment investir la scène. Ça veut dire que contrairement à certaines soirées, où il y a juste l’artiste sur scène, là iels vont être à dix ou quinze sur scène avec des canapés derrière la scène. Faire sentir aux gens que le backstage est sur scène, ça change l’ambiance. On a eu un moment avec les Sheitan Brothers qui mettaient des drapeaux qu’ils faisaient eux même, avec plein de phrases sur l’apéro puisqu’ils étaient sur un format apéro, plein de jeux de mots, etc…

Léa : Camion Bazar, par exemple, ramènent à chaque fois des scénographies très différentes qui sont en lien avec leur set. Elleux investissent aussi toute la scène et c’est la folie. Iels recréent une espèce de salon très cocooning. On a l’impression d’être dans une nouvelle maison. C’est rigolo.

Pierre : On va avoir pas mal de demandes autour des visuels, comme avec Umwelt. Le Sucre est un lieu très adapté pour faire de l’audiovisuel.

Diriez-vous que les scénographies du Sucre prennent en compte les enjeux de durabilité actuels ?

Léa : On essaye de plus en plus. C’est toujours compliqué de parler d’écologie en faisant des scénographies. En tout cas, on les pense de plus en plus pour les réutiliser après, sur nos différents lieux. On va par exemple réutiliser une serre créée récemment pour faire une maison safe sur la terrasse. Après, il y a des marques avec qui on travaille, qui réutilisent le mobilier pour eux, dans d’autres endroits, dans d’autres clubs ou dans d’autres restaurants, etc…On réutilise beaucoup des tubes led, qui sont les croix lumineuses des Nuits sonores à la base.

Pierre : Ce qui est intéressant là dedans, c’est d’avoir cet écosystème. De pouvoir partager en termes de scénographie et de savoirs, de pouvoir utiliser des choses de Nuits sonores sur le Sucre et inversement.

© Gaétan Clément

Est ce qu’il y a des éléments de scénographie un plus permanents ?

Léa : Non, on a la boîte du Sucre et puis après on change les scénographies à l’intérieur de cette boîte. Les tubes led sont là de début décembre à fin février et après on les utilise différemment sur le Sucre tous les ans pour une nouvelle expérience.

Pierre : Le Sucre est assez dépouillé, visuellement. Quand tu rentres dans le club, le seul élément de scéno, finalement, c’est le bar qui est distinct du reste du club par des ampoules qui descendent du plafond. L’idée était de pouvoir quand même avoir un repère assez marqué et visible dans la salle. 

Ce qui fait aussi la particularité de la salle du Sucre, c’est qu’il est ouvert vers l’extérieur d’un côté. Tu vois la lumière du jour rentrer dans le club, tu vois le coucher de soleil sur la Saône, tout comme le lever de soleil vers 5h et demie du matin. Le temps extérieur fait partie intégrante de la scénographie à l’intérieur du Sucre.

On va avoir une ambiance, une atmosphère totalement différente qu’on soit le dimanche après midi ou qu’on soit le vendredi soir. Dans énormément de clubs tu es dans une boîte noire à n’importe quel moment du temps, alors que là tu as l’impression de vivre avec ce qui est à l’extérieur. 

C’est un club qui est aussi très léger en termes de lumières. On a un plafond composé d’une quinzaine de rangées de lumières fixes. On n’a pas de lasers, on n’a pas plein de lyres. On essaye de limiter le plus possible l’investissement sur la lumière. Sur certains évènements on est en train d’en mettre le moins possible et de plutôt mettre de la fumée. Moi j’ai tendance à croire que le fait d’un peu moins se voir dans le club permet aussi de se lâcher un peu plus. D’être plus à l’aise pour danser. Et je crois que c’est aussi pour ça que beaucoup de DJs le réclament. 

Et inversement en termes de sécurité, surtout aujourd’hui avec les problématiques qu’on connaît très bien, de piqûres, de GHB, de soumission chimique, etc… D’être dans le noir complet, c’est toujours plus dur aussi pour notre équipe de sécurité, pour notre équipe de médiation, de voir les comportements à risque aussi en terme d’agressions sexuelles, etc… de pouvoir finalement avoir une vision de sécurité.

La terrasse du Sucre © Gaétan Clément

Comment la scénographie peut permettre d’aboutir à des espaces plus inclusifs et safes ? Qu’est-ce que va être la maison safe sur la terrasse ?

Léa : L’idée, c’est de pouvoir avoir un cocon sur la terrasse, à l’abri des regards. Et si quelqu’un se sent mal ou a une interrogation, on a des médiateur·ices maintenant au Sucre qui pourront l’accueillir. Ou bien la sécurité évidemment, mais on s’est quand même posé la question sur  le fait que les gens vont beaucoup moins voir la sécurité que quelqu’un qui est dédié à la médiation. L’idée, c’est que la personne puisse se poser, reprendre ses esprits si elle en a besoin, et surtout à l’abri des regards et accompagné·e de quelqu’un. 

Pierre : Pour l’instant, les médiateur·ices maraudent, iels sont à disposition, ils sont repérables par une tenue spéciale et c’est leur métier à 100 %. Iels ne sont pas là pour faire de la sécurité, ni pour juger le public. Ils sont là pour être à l’écoute pour alerter s’il y a un problème, iels sont formé·es pour ça.

Aujourd’hui, l’idée de la maison safe c’est d’avoir cet élément de scénographie qui te permet de baliser ça. Pour l’instant, si tu cherches le·a médiateur·ice, vu qu’iel est en train de marauder, tu ne sais pas vraiment où aller. On sait que c’est très difficile, d’autant plus quand tu es une femme, une personne issue d’une minorité, ou une personne racisée, d’aller d’aller voir un vigile parce qu’on sait aussi qu’il y a des difficultés de pouvoir s’exprimer avec des personnes qui sont représentantes de la sécurité, représentantes d’un certain ordre, etc…

C’est pour ça que c’était très important d’avoir cette petite maison. Tu sais que tu peux y aller directement, tu sais que là tu vas être accueilli·e par quelqu’un qui a envie de t’écouter. Ça permet d’alléger les barmen aussi. Iels sont en train de travailler, iels vont prendre le temps d’écouter s’il y a un problème, mais des fois iels sont dans le rush, iels n’ont pas forcément le temps et c’est pour ça que ça devenait indéniable qu’il fallait trouver une solution.

Léa : Pour constituer cette maison, j’ai travaillé sur le miroir. C’est une petite maison qui va refléter Le Sucre sur toutes ses faces. Et donc elle peut aussi bien se voir que disparaître. Le travail sur le miroir amène aussi un objet un peu curieux, mais en même temps qui peut se fondre dans le Sucre, et on peut ne pas l’apercevoir. Évidemment, il y a une signalétique dessus qui va permettre de la repérer facilement.

A l’intérieur de celle-ci on va travailler sur le bois pour amener une atmosphère plutôt chaleureuse. Evidemment, il va falloir de la lumière et quelque chose de chaud. Peut être qu’il faudra des coussins pour accueillir les gens qui sont un peu mal. Que ce soit sécurisant pour tout le monde.


Il y a du miroir autour de la maison safe, la scénographie de Cornelius Doctor qui était faite de miroirs… C’est quelque chose qui revient souvent dans le Sucre, ce miroir ?

Léa : Peut être que c’est parce que j’ai été barman. Je sais comment les gens se comportent dans un club et j’aimerais bien qu’ils arrivent aussi à se voir et à comprendre leurs comportements. Je trouve ça assez intéressant que les gens puissent se rencontrer et se respecter et que ce soit un peu plus safe pour tout le monde. Je trouve que le miroir est pas mal pour ça.

Dans quelle mesure diriez-vous que la scénographie répond aux aspirations du nouveau projet du Sucre ? 

Léa : Je pense qu’il faut garder le Sucre comme il est, et s’adapter à chaque personnalité qui veut venir y créer quelque chose. C’est vraiment important de créer une nouvelle expérience pour le public à chaque fois.

Pierre : On donne Le Sucre comme un outil, le·a DJ est en salle et plus sur scène, on crée certains formats avec un peu moins de lights, plus de fumée pour que les gens se sentent un peu plus à l’aise, mais je ne dirais pas qu’on a un vrai concept de scénographie qui vient avec ce nouveau projet. 

Si ce n’est cette réflexion du mini club du vendredi, qu’on va relancer dès cet été. C’est un des principes les plus importants qu’on ait fait ces dernières années et qu’on continue à faire. Pour revenir à de vraies valeurs en termes d’artistique, en termes d’échanges, en termes d’atmosphère, en termes de liberté d’expression, etc… C’est totalement différent une ambiance d’un club à 400 personnes que à 800 personnes. Je crois que c’est ce qui marque cette nouvelle ambition, de retrouver un club à échelle humaine, du vendredi au dimanche.

Y a-t-il d’autres éléments qui marquent le mini club ?

Léa : On a retravaillé sur le cube. On a pris le sucre et on l’a réduit avec des pendrillons. Et donc on avait l’impression de rentrer dans un endroit fermé, un mini club ou le DJ était presque au milieu du public. Une espèce de boîte noire dans laquelle il n’y avait pas trop de lumière. Le dancefloor était au milieu et puis après, il pouvait se passer plein d’autres choses.

Pierre : C’est en fait l’inverse de la dark room. Notre dark room, c’était notre mini-club. On avait créé une dark room au centre du club, un cube dans le cube. En termes de communication, et symboliquement, toute la com’ était axée sur le cube. Clément à la communication avait fait un espèce de Rubikub qui tournait et qui était projeté dans le mini-club.

C’était un concept qui était suffisamment fort pour que les gens aient ce logo de cube qui reste en tête. Le but pour cet été et la rentrée, c’est d’avoir une saison deux de ce mini club. De repartir sur cette thématique de cube, mais d’en faire quelque chose de nouveau. Peut être avec d’autres jeux de lumière, peut être avec des pendrillons transparents sur lesquels tu pourras mettre des visuels.

Léa : Il y a aussi le logo des soirées des dimanches, les sunset. On en a fait une enseigne lumineuse, installée en arrière scène, qui représente des vagues avec un soleil au milieu. C’est devenu l’élément phare du dimanche.

Pierre : On avait fait des tee-shirt avec ces vagues. Maintenant, quand les gens pensent au Sucre, ils pensent à ces vagues de la sunset du dimanche qui représentent un coucher de soleil et qui est devenu un élément emblématique du Sucre. Ces éléments de scénographie, le cube, les vagues, sont des marques qui nous apportent beaucoup en terme artistique. Ils sont parfois même plus forts que l’artistique. On sait que de fait, il va y avoir une partie du public qui va venir parce qu’ils savent que c’est la sunset en ayant vu le logo.

Quand on a rouvert le Sucre suite au covid, on n’a pas refait le mini club les vendredi. On s’est dit on rouvre, on ne va pas limiter la jauge, les gens ont envie de revenir. Donc on a rouvert en grand. Ça a tenu deux-trois mois, et au bout d’un moment le vendredi, plus de concept. Plus de scénographie. Ca s’est très vite essoufflé, même en programmant des têtes d’affiche, ce qui est coûteux pour nous, ça n’a pas fonctionné. Donc c’est pour ça qu’on revient sur une identité forte du vendredi avec une scénographie qui va identifier la soirée. 

Sunset © Gaétan Clément

Y a t-il d’autres choses que vous voudriez tester en termes de scénographie ?

Léa : Moi j’aimerais repartir à l’air libre, ne plus être dans les clubs.

Pierre : Mon rêve c’est d’avoir des soirées de vendredi où il n’y a pas une seule lumière. Personnellement, je me sens libre en club, libre d’enlever mon tee shirt et de danser vraiment,  quand mon voisin me voit à peine. Quand je suis dans un club éclairé, que tout le monde se regarde, je ne me sens pas à l’aise. J’imagine bien le mini club dans la fumée et les seules lumières qu’il y a marqueraient la cage du cube.

Je suis de plus en plus contre cette débauche de de lumière, de scénographies, etc… qui ont aussi un impact écologique conséquent. Alors que je pense vraiment que ça ne sert pas la soirée. Il y a quand même une course dans les clubs aujourd’hui, en termes d’investissements dans des sound systems de plus en plus gros, de plus en plus de lasers, de plus en plus de lumière, etc… c’est de l’entertainment mais je suis pas sûr que les soirées en soient meilleures. 

Léa : J’aimerais que les gens puissent être beaucoup plus libres et beaucoup plus cools les uns avec les autres. Peut être que d’être dans le noir, ça marcherait mieux. Peut être que si on se regardait un peu moins, le rapport serait plus facile. On va peut-être essayer, donner le noir complet. Quand il y a de la fumée, qu’on est dans le noir complet on se lâche plus. On est un peu plus soi-même. On est moins dans l’entre soi, et on a la terrasse pour la discussion.

Diriez-vous que la scénographie d’un club a un rôle à jouer dans la reconnaissance des clubs en tant que lieu culturel ?

Pierre : Je porte à croire que non. À mon sens, si on a un DJ booth en format club, donc avec une scénographie qui ne permet pas d’avoir un lieu trop modulable, une scénographie qui ne permet pas de faire du live, etc… pour moi, c’est de la culture. À partir du moment où tu as un club avec une proposition artistique, une vraie programmation qui va au-delà de l’entertainment, c’est de la culture. Aujourd’hui, que nous, on soit un club qui fasse de la formation, du live, qu’on ait ces relations avec les résident·es, qu’on fasse monter des associations, etc… c’est de la culture. Autant qu’un club qui ne ferait que du DJing. 

Il n’y a pas de « meilleure » culture que d’autres. Tout dépend de comment tu réfléchis ton club. Aujourd’hui, il y a beaucoup de clubs qui ne vont pas assumer d’être un club justement pour être légitimés par les pouvoirs publics, alors qu’en fait c’est aux pouvoirs publics de comprendre qu’un club, c’est comme une salle de concert, avec juste des DJs à la place d’un·e guitariste. Mais les clubs n’ont pas besoin d’en « faire plus » pour être définis en tant que lieu culturel.

À partir du moment où tu as une programmation artistique, à partir du moment où tu fais tout pour que ton public se sente libre, que tu fais tout pour qu’il n’y ait pas de discrimination dans le club, que les gens soient à l’aise, qu’ils discutent, c’est un lieu culturel. Je pense que la reconnaissance des clubs va aussi passer par assumer ce côté festif de la culture.

La difficulté c’est de faire comprendre aux pouvoirs publics qu’aujourd’hui un·e DJ est un·e artiste, qu’on va voir comme à un concert. Mais c’est compliqué juridiquement parlant, je comprends que les pouvoirs publics aient parfois des appréhensions. Quand tu vois comment certains lieux de concerts ou clubs sont gérés en termes d’administration, où par exemple les DJ ne sont pas embauchés, ça peut amener à ce que les pouvoirs publics ne voient pas ça comme des salles de spectacle.

Donc c’est aussi donnant-donnant. On veut cette reconnaissance d’établissement culturel, mais pour avoir cette reconnaissance d’établissement culturel, il faut aussi savoir respecter l’intermittence, embaucher ses artistes, etc…

Le lieu, en mix

Ici 3 enregistrements qui illustrent l’identité sonore du club, réalisés par quelques résident·es.



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À propos de l’interviewer

Scénographe français indépendant, basé à Paris, Axel Simon a travaillé sur un projet de club au sein du Bureau Betak. Il travaille maintenant à l’Atelier Paf. Il est également journaliste musical pour le webzine Listen Up, anciennement plume de whypeopledance et responsable des relations presse pour United We Stream Asia.

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