Interviewer : David Bola
Crédit Photo : Laurie Diaz
Vous vous êtes rencontré·es dans une école d’art à Amiens, est-ce que vous aviez déjà tous une formation musicale à ce moment-là, ou est ce que la musique est venue après ?
Personne n’a vraiment eu de formation musicale, encore aujourd’hui ce n’est pas le cas (rires). A part peut être robin qui a pris des cours de congas. Il en a fait comme l’on ferait des cours de karaté. Julia elle faisait de la Batucada aussi.
Comment est ce que vous êtes passé de cette rencontre à monter un collectif ensemble ?
À la base c’est via un cours dans cette école d’art – d’ailleurs big up à Michael Sella, le prof qui s’occupait de ce cours – où il fallait inventer un groupe de musique factice. C’est une école plutôt basée sur le design graphique, donc il fallait . créer l’identité visuelle du groupe, un logo, faire des photos, faire des pages sur Internet, des MySpace à l’époque.
On s’est prêté au jeu, on a commencé à vraiment développer une identité visuelle, des pochettes.
Donc QuinzeQuinze fait référence à la fréquence des rendus ? Tous les quinze jours en somme ?
C’est exactement ça. Après l’école, on s’est dit qu’on allait continuer à produire, qu’il fallait une sorte de rythme de production parce qu’on se trouve un peu fainéants. Chaque membre du collectif avait ses side-projects et QuinzeQuinze c’était ce qui présentait l’actualité musicale de ces groupes-là.
C’était scindé en deux aussi. Il y avait la partie design interactive avec des installations et la musique où on était vraiment quinze personnes. Pleins de potos, des gens qui font de la vidéo, du code…
La partie design interactif n’existe plus maintenant. On se focus sur la musique et sur l’image qui l’accompagne, mais on a bien abandonné le côté interactif.
Pour la musique, le procédé varie, mais en règle générale, c’est quand même une personne qui apporte une idée, une intention, et de cette intention là, on commence à collaborer à cinq. À la base c’est une personne qui ramène une histoire et une composition et ensuite ça papillonne autour.

La musique est donc conçue collectivement, qu’en est-il de l’aspect visuel ?
C’est Marvin qui s’occupe de la partie interactive des visuels, parce qu’il tient le site internet (quinzequinze.com). Ce site, c’était notre exutoire. On utilisait pas mal l’interactivité du web pour faire comme des petits bonbons numériques. C’était pour les gens une manière de participer au morceau en faisant évoluer les visuels, ou juste en étant dans une sorte d’état de contemplation sur des petites intentions visuelles. Donc au final, aujourd’hui, c’est le seul endroit où il y a de l’interactivité. On essaye un peu de maintenir cette petite flamme.
Ce qui m’a vraiment frappé sur l’aspect visuel, c’est la texture des modèles. Je pense au clip de « Le Jeune », ou les personnages semblent presque palpables. Comment avez-vous travaillé ces aspects ?
Pour ce clip-là, on trouvait intéressant de présenter les origines polynésiennes d’Ennio et Tsi Min. Et donc pour le faire on a pris un thème moins édulcoré que l’image habituelle qu’on a de Tahiti. On a parlé des essais nucléaires qu’il y a eu entre les années 60 et les années 90.
L’idée, c’était de présenter un peu une imagerie autour de ce thème-là. Pas non plus de faire un truc forcément très politique, mais plus de faire un univers dans lequel on évolue, qui oscille entre le cauchemardesque et l’onirique, où l’on voit nos personnages altérés par la radioactivité.
Énormément d’éléments visuels sont représentés au fil de vos clips, des costumes, des personnages… qui semblent tous appartenir à une seule et même toile de fond. Le but est-il de créer une mythologie dans laquelle les créations du collectif QuinzeQuinze existent ?
Complètement, oui. On aime bien faire des spin-offs pour raconter des histoires. Parfois, trois ans plus tard, on revient sur une parenthèse qui pourrait se passer au sein d’une histoire. Le récit a quand même pour but de se passer sur la longueur d’un album à l’autre, qu’il y ait toujours une continuité dans l’histoire.
Pour « Neva Neva » vous avez choisi de tourner en Islande, et c’est justement un endroit où il y a énormément de spiritualité chez les habitants. Est-ce que c’est quelque chose que vous vouliez chercher là- bas ? Bien sûr, tourner en Islande c’est aussi des paysages à couper le souffle…
Le réalisateur avait envie de faire le pont entre deux cultures insulaires. À Tahiti aussi, il y a une façon assez spéciale d’appréhender la nature. C’était marrant de voir deux endroits climatiquement complètement opposés qui se retrouvent sur tout un tas de légendes. De voir l’attention qu’ils peuvent porter sur des événements naturels climatiques.
D.B – Cette notion climatique, c’est un terme que vous avez déjà utilisé pour décrire votre musique, pour exprimer son côté changeant.
Ouais exactement. Aussi on est plusieurs à composer, à écrire pour le groupe. Il n’y a pas une seule personne qui va tout écrire, qui va prendre le dessus. C’est tout le monde. Chacun va avoir un moment donné participer à l’écriture, la composition d’un morceau ou d’un autre.
Du coup, les sujets, les sens des chansons sont changeants. Souvent, c’est le sens qui va induire le style musical. C’est ce qui fait qu’on arrivait pas à catégoriser notre musique. Selon nos humeurs, le style musical change. Un peu comme la météo.

Pour la partie tahitienne du groupe, vous dites avoir grandi en refusant un peu la musique traditionnelle de l’archipel. Mais on peut entendre dans la musique que vous faites aujourd’hui des sonorités qui viennent de ce patrimoine musical-là. Est-ce qu’il y a quelque chose qui vous a réconcilié ?
La distance. Après, notre rapport à cette musique était générationnel, la musique locale t’écoute ça dans les fêtes avec tes parents. À l’époque c’était les débuts des internets, t’étais connecté au rap à M6 Music au RnB, donc tu t’en fous de la musique locale. Mais au final, une fois que tu te casses ça te manque et tu portes un intérêt nouveau au truc et tu vois aussi toutes les qualités de cette musique là. On est devenu curieux d’aller chercher ces musiques anciennes, ces artistes un peu qui transmettent des vibes un peu spéciales.
Il y a un mouvement de Tahiti que vous citez comme inspiration, la Car Bass, est-ce que vous pouvez nous en parler ?
En gros, c’est du tuning, focus sur la bass. On peut conduire une grosse poubelle, mais par contre dedans il y a équivalent du Stade de France en système son. À Tahiti, j’ai des souvenirs de la basse, tu te réveilles le matin, dans les quartiers et tu entends “poum-poum-poum”… Mais comme il y a de plus en plus de gens, il y a un peu trop de proximité, ils vont dans les vallées avec leurs grosses bagnoles équipées. Ils se mettent en team avec chacun sa voiture et son matos.
Et ça passe de voiture en voiture pour faire péter les basses parce que les batteries ne tiennent pas plus de 20 minutes. Du coup, c’est chacun son quart d’heure.
Ce sont des petites voitures, des partners. Il y a un seul siège, c’est pour le conducteur. Tout le reste n’est que des batteries, des amplis, des machins, tu ne peux pas aller dedans. Quand le gars passe devant chez toi, tu sais qui c’est. Ça existe en parallèle d’un mouvement lancé par les jeunes DJs et producteurs de Tahiti, c’est proche du moombahton et du reggaeton, ça s’appelle le Deck.
D’ailleurs on a créé la playlist Deck sur NTS Radio. Ce qui est marrant avec le Car bass c’est que tu as des strates de puissance. En gros, plus tu vas loin dans la vallée, plus c’est réservé aux kings. Tu ne peux pas prendre leur place. Tu commences en bas de l’échelle, à l’entrée de la vallée avec ton matos, puis tu te fais connaître, puis tu t’enfonces jusqu’à arriver au cercle, il y a quatre bagnoles, c’est les big boss. Le plus gros on l’appelle « La Membrane ».
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A propos de l’interviewer
David Bola est éditeur de contenu à We are Europe. Il a travaillé par le passé à Radio Nova en tant que journaliste freelance et tient une résidence mensuelle sur les ondes Piñata Radio avec Ludotek, une émission qui s’intéresse à la musique de jeux vidéos.